5 jeunes alpinistes gravissent 6 sommets aux confins du Népal, entre ouverture de sommets et itinéraires inédits. Une équipe jeune et mixte, trois camps de base et six sommets réalisés en technique alpine. En octobre-novembre 2010, notre expédition au Népal, menée par Renaud GUILLAUME, a réalisé 3 premières dont une au-dessus de 6900m et atteint des sommets par de nouvelles voies.
L’équipe, composée de 2 femmes et de 3 hommes âgés de 24 à 28 ans, avait pour objectif d’explorer les sommets de la vallée de Naär et Phu, à l’extrême nord des Annapurna. En 5 semaines, en installant trois camps de base, l’équipe a gravi six sommets, tous réalisés en style alpin :
Première ascension du Lugula (6910m).
Répétition de la face sud du Bhrikuti (6364m) et première ascension le même jour du Julie Himal (6320m).
Ascension du Chulu Far East (6059m) par l’arrête Sud Est avec un camp de base dans la vallée de Naär (itinéraire inédit).
Première ascension du Chulu Bacca Himal (5720m).
Première ascension du Tycho Himal (5700m).
Les préparatifs, de Grenoble à Katmandou
9 octobre : Paris-Bahrain puis Bahrain-Katmandou
10 octobre : Katmandou
De gros duvets, des cordes, des chaussures d’expé, des pantalons, des vestes, des doudounes, des casques tout légers… Ces derniers mois, nous avions rassemblé au compte-goutte le matériel que nous allions emmener au Népal. Le week-end, nous n’étions plus en « ballade », nous étions en « test grandeur nature ». Évidemment, difficile de tout tester, surtout en plein mois d’août, comme les chaussures d’expédition ou les duvets -25°C.
Pour les repas d’altitude, nous avons rempli des caddies, ôté tous les emballages et tout reconditionné en ziploc. Nous avons tassé dans un bidon de 60L les vivres ; soient 37 repas et quelques extras du type Tomme, chocolat, foie gras, etc.
Puis nous avons sorti la balance de cuisine pour tout peser : cordes, piolets, mousquetons, tentes... Il a fallu ensuite faire les sacs, résoudre les équations aux contraintes multiples, du type : pour l’avion, certains sont limités en poids, d’autres en nombre de bagages : un vrai casse-tête! Ce qui ne nous évitera pas à l’aéroport de refaire quelques transactions, de devoir faire de grands sourires enjôleurs au personnel inflexible de la compagnie aérienne et de finalement chausser les chaussures d’expédition en cabine.
Un an et demi après la première évocation de ce projet, nous étions fin prêts pour le départ.
L’arrivée à Katmandou nous propulse dans un autre monde. Plongés dans la ferveur de l’aéroport et azimutés par le voyage, notre première préoccupation est de récupérer l’ensemble de nos sacs déjà éparpillés sur les chariots de Népalais en attente de pourboires, de retrouver Julie et Romain arrivés quelques heures plus tôt, puis de découvrir Mulal Gurung parmi tous ces visages inconnus et empressés.
Katmandou… Ville des klaxons, de la poussière, des moyens de locomotion en tout genre, des vendeurs ventouses. Notre mode de vie occidental se voit mis à mal par la rivière qui charrie les ordures dans lesquelles des gosses récupèrent ce qu’ils peuvent. Mais le plaisir de vaquer parmi une foule bigarrée et affairée reprend vite le dessus. Nous nous extasions sur les maisons étroites et biscornues, sur les terrains cultivés au milieu des habitations, sur les routes bossues, sur les nombreux temples … Nous découvrons la culture népalaise, à l’affut du moindre détail : comment les gens fonctionnent-ils ? Quels sont leurs métiers, leurs occupations, leurs usages, leurs croyances ?
En parallèle, il nous faut gérer notre expédition : faire les dernières courses, tester le téléphone satellite déjà récalcitrant, refaire les sacs. Sans oublier d’essayer la tente VE25 sur le toit de la maison de Mulal, le gérant de l’agence Churen Himal, avant de rencontrer notre cuisinier Indra et notre équipe de porteurs. Et surtout négocier : tout, partout, tout le temps.
Sur le trek du tour des Annapurnas
11 octobre : Katmandou- Bulbhule
Nous faisons quelques kilomètres sur Ring Road, le périphérique de Katmandou, avec nos sacs bringuebalant sur le toit du mini-bus pour stopper dans la première échoppe y acheter de la ficelle et attacher notre chargement... Sur la route de Besisahar, nous nous arrêtons plusieurs fois à la recherche de points d’eau : le chauffeur (très – trop ? – zen) n’utilise pas son frein moteur et les freins dégagent une épaisse fumée noire. Difficile de se passer des freins au regard des pentes que nous gravissons et dévalons dans la foulée !
A Besisahar, notre cuisinier décrète qu’il est trop tard pour prendre un bus pour Bulbhule, le point de départ de notre trek… Seulement il est hors de question que les impondérables dirigent notre voyage à notre place. Nous insistons ! Nous négocions donc le trajet avec le propriétaire d’un camion bâché, un Tata. Les gars passeront les deux heures suivantes ballottés avec les sacs, alors que les filles profitent de la banquette avant. Les jambes engourdies, c’est avec soulagement que nous nous installons dans notre premier lodge. Nous nous couchons en rang d’oignon à cinq sur quatre lits, protégés de la pluie par une simple tôle, sous le regard de deux mantes religieuses et d'un gecko.
12 octobre, Bulbhule – Jagat
Malgré l’absence de sirdar, notre équipe de porteurs s’organise, les charges sont réparties, ficelées et emportées. Enthousiastes, nous partons enfin sur les chemins aux premiers rayons du soleil. Nous passons des ponts de singes, traversons des rizières, croisons trekkeurs et porteurs. Et puis parfois le sentier se fait route, au milieu de pentes bouleversées. Cette route reliera un jour Manang à la vallée, porteuse de projets, de chambardements et de tant de sentiments contradictoires. Nous continuons sur la rive opposée.
Nous guettons désormais ces montagnes que nous avons vues et revues en photo. Ce que nous croyons être un nuage blanc, haut sur l’horizon, s’avère être la suite de cimes enneigées, un peu pâlottes et emmaillotées dans un fin brouillard d’altitude. Sereinement, nous traversons des villages entourés de lumières et de rizières, Bahundanda, Ghermu... Et puis vient Syange, le ciel semble plus bas, le monde plus gris. Nous poussons jusqu’à Jagat, où une douche, une bière à 350 Rps, un milk masala tea et un dhal bat (plat traditionnel de riz, soupe de lentilles et éventuellement des légumes) viennent parfaire la journée. Devant l’école du village, il y a un attroupement : les jeunes et les moins jeunes parient fiévreusement. Nous discutons longuement avec un jeune père accompagné de son enfant. Ils marcheront plusieurs jours pour rejoindre leur famille à Chame à l’occasion de la grande fête de Dasain.
13 octobre, Jagat – Dharapani
Notre seconde journée de marche est plus mouvementée… Nos envies d’explorations nous poussent à emprunter un chemin de traverse, indiqué en pointillé sur nos cartes et visiblement délaissé. Le sentier s’élève rapidement, sous le soleil et nous avançons en tee-shirt au milieu des herbes hautes, feignant d’ignorer les appels de notre équipe de porteurs qui s’inquiète. Nous sommes sur deux rives opposées de la rivière et leurs appels se font plus insistants, voire même harcelants. Un à un nous rebroussons chemin. Renaud et Romain, finissement aussi par revenir : le chemin a été emporté et les pentes sont trop aigues pour envisager la suite.
Il était prévu que les charges des porteurs soient plus lourdes sur cette première partie du voyage et ce malgré l’embauche au dernier moment d’un porteur supplémentaire. Face à un malaise latent dans notre équipe de porteurs, nous décidons tout de même de peser les charges de chacun d’eux. A l’épicerie du village, nous empruntons un peson et un poids de 5 kg. La graduation du peson ne monte qu’à 10kg. Nous construisons donc avec une planche une balance à bras de levier que nous étalonnons avec le poids. L’incompréhension règne parmi les porteurs. Heureusement, l’épicier viendra à notre rescousse et valider notre méthodologie par un « Tsik-cha » approbateur. Nous abandonnons finalement 10 kilos chez notre logeuse, optimisons les charges et l’incident est clôt. La soirée se termine par un premier cours de népali, dans une ambiance hilare. Indra nous prépare des momos (nouilles tibétaines).
14 octobre, Dharapani – Koto
Au fur et à mesure que nous avançons, le mode de cuisson des aliments évolue. Du gaz dans la partie basse de la vallée, nous passons au bois, puis dans la vallée de Naär et Phu, à un mélange de bois et de bouses de yacks séchées. Mais lorsqu’Indra cuisine pour nous, c’est sur des réchauds au kérosène. Le ravitaillement sera toujours aléatoire : c’est une denrée rare, difficile à trouver en petite quantité.
Nous rejoignons Koto après une belle journée de montée sous les imposantes faces du Manaslu et de l’Annapurna II. Après une sieste réparatrice, Julie et Alex profitent de leur dernière douche. Les gars eux, sont déjà passé au-delà de ces considérations hygiénistes.
Adieu la foule, bienvenue dans les vallées « perdues » de Naär et Phu…
15 octobre, Koto – Meta (3580m)
Les ruelles boueuses de Koto et la pluie fine du matin ne nous pressent guère au départ matinal. Aujourd’hui, nous quittons le chemin tant parcouru et encensé du tour des Annapurnas pour nous échapper dans la vallée de Naär et Phu. Avant d’y accéder, nous nous présentons au check-post pour y gagner quelques tampons sur nos permis et sortons les tee-shirts à manches longues, les gore-tex et polaires.
Le chemin est creusé dans la falaise au dessus du torrent qui gronde, puis serpente au milieu de feuillus caressés par le soleil. Nous devisons gaiement sur le chemin. Puis une odeur de brulé nous interpelle. Du sac de Renaud s’échappe de la fumée… Aïe aïe aïe ! Nous le vidons précipitamment sur le sol, appareil photo, objectifs, casque, panneau solaire… c’est la batterie ! Les fils ont frotté sur les languettes de la batterie, provoquant un court-circuit ! Heureusement, le panneau solaire fonctionne encore mais les connectiques sont à refaire et nous ne pourrons pas l’utiliser couplé à la batterie. Quant au casque PEZTL tout neuf, il porte une balafre noire. Le sac gardera une odeur de brulé le reste du voyage.
Nous faisons halte dans la cabane forestière de Daramhsala pour attendre nos porteurs. C’est en fait l’étape classique mais il n’y a pas de lodge et nous devons pousser jusqu’à Meta afin d’économiser le précieux carburant. Les porteurs arrivent au compte goutte, nous les accueillons avec du thé chaud et nous repartons. Arri le porteur en profite pour faire une petite hypoglycémie : nous nous organisons pour monter sa charge jusqu’au petit hameau qui abrite un camp militaire (une poigné de soldats népalais seulement). La journée était un peu longue, le temps un peu trop gris, la chaleur des rizières un peu loin, le moral non loin du fond des chaussettes… La cuisine et le poêle du lodge nous rappellent bien vite l’automne de nos Alpes, et nous entamons les traditionnels jeux de dés avec nos porteurs.
16 octobre, Meta – Naär (4100m)
La journée est courte. De Meta, nous rejoignons Naär en quelques petites heures. Le chemin perd rapidement de sa hauteur pour aller chercher l’étranglement des gorges que nous devons franchir. Au dessus d’un gouffre impressionnant, deux ponts forment deux points de suture aux architectures incroyables. Le pont en acier, fruit du même jeu de mécano que les ponts des basses vallées, traçant la parallèle du pont en bois coudé et pierres.
Ici la légende raconte que le premier humain venu à Naär fut le Xe lama et qui, pour passer le gouffre, sauta d’une rive à l’autre et ne se rattrapa que grâce à l’apparition d’une prise miraculeuse. Trois doigts enchâssés dans la pierre lui permirent de se rétablir in extremis. La pierre aux trois doigts a été extraite de la falaise et les voyageurs et habitants de la vallée lui rendent hommage au milieu des pierres à prières.
Libres de notre temps, nous poussons jusqu’à un petit temple bouddhiste dont le chantier est empli de la mélodie joviale sifflotée par le contremaître.
Le chemin sillonne, monte dur. Nous marchons lentement, au rythme de notre souffle : nous savons que l’acclimatation est la clef de la réussite de notre expédition, et qu’elle commence précisément aujourd’hui. Très loin en contrebas, des bouleaux inaccessibles au-dessus desquels planent quelques Guidas (vautours), jaunissent sous le soleil d’automne.
Nous passons la première porte de Naär mais la route qui mène au village est encore longue. Au sommet d’un raidillon, le chemin est barré par un mur de pierre à la porte condamnée. Il délimite les frontières du village mais surtout sert de parc à yacks. Nous passons par-dessus le mur grâce à quelques pierres disposées à cet usage. De l’autre côté, un imposant troupeau de yacks paît. Les yacks ne meuglent pas, mais poussent des râles hoqueteux peu engageants. Et certains affichent un tempérament décidément belliqueux. Indra et Batsu nous attendent sagement en haut d’un rocher un peu plus loin. Après quelques propos fanfarons, nous traversons le troupeau sur la pointe des pieds. Nous reprenons confiance, les bestioles nous ignorent royalement. Nous assistons quelques minutes plus tard à des combats acharnés entre mâles : le yack peut être très dangereux.
Encore une bonne demi-heure de marche et nous arrivons à la seconde porte du Naär, en vue du village. Naär s’étale en demi-cercle au dessus de champs étagés. La moisson a déjà eu lieu, la récolte attend sur le toit des habitations. Nous voilà face au Népal d’altitude dont nous rêvions.
17 octobre, Jour de repos à Naär
Pour respecter des paliers de 400m par jour afin d’éviter au maximum les risques de MAM (Mal Aigu des Montagnes), nous prenons une journée de repos à Naär. Qu’il est bon de flâner au lit jusqu’à 7h30 (nos réveils s’échelonnent d’habitude de 5h30 à 6h30), d’explorer Naär et ses alentours ! Nous en profitons pour faire un brin de lessive, charger les batteries d’appareil photos avec le panneau solaire, bouquiner… tout cela au rythme des fléaux. Car si la propriété privée existe bien à Naär et si chaque famille conserve les récoltes de ses propres champs, le battage du grain se fait de manière communautaire. Les hommes, face à face sur deux lignes lèvent et abattent leur fléau sur la récolte des heures durant. Les femmes tamisent ensuite cet ensemble pour séparer le grain de l’ivraie. A peine levée, Alex se fait embaucher par les batteurs qui lui proposent un fléau. Elle s’essaie au battage, un peu maladroite d’abord, puis rapidement en rythme ensuite. Le geste devient ample… mais l’habitude et l’endurance lui font bientôt défaut. Ne frappant plus en rythme, elle tente d’assommer plusieurs de ses voisins. On vint gentiment la remplacer.
Notre téléphone satellite est décidément une véritable bête de course ! En plus d’avoir l’air vieux et d’être moche, il ne tient pas la charge (2 minutes de communication suffisent à vider sa batterie). Il ne suit aucune logique pour capter les satellites, n’envoie ni ne reçoit de texto. Nous qui avions prévu des contacts quotidiens avec Lucas et Emilie, restés en France, pour recevoir la météo et envoyer des nouvelles, nous voilà dans les choux ! Nous arriverons, au début du voyage à laisser quelques messages à Emilie et puis ensuite plus rien. Du coup la communication se fait au gré du bon vouloir de notre téléphone pourri et de nos rencontres avec quelques français, souvent prêts à nous sacrifier quelques minutes de communication. Quand il n’y a pas de français, ou qu’ils n’ont pas de téléphone satellite, nous tentons les messages écrits via quelques intermédiaires.
Exploration aux Chulu
18 octobre, Naär – Kang La Phedi (4550m), D+ 440m
19 octobre, Kang La Phedi – Camp de Base Chulu (5000m)
Depuis Naär, nous rejoignons en deux jours notre premier camp de base, que nous plaçons à l’extrémité inexplorée de la vallée, au-delà de la bifurcation menant au Kang la. A défaut de chemin tracé, nous construisons nos cairns à mesure que nous avançons. Nous sommes à la recherche d’une voie directe et nouvelle au Chulu Far East (6059 m). Le matin, nous grattons la couche de givre qui s’est déposée sur les parois intérieures de la tente. Geste indispensable si on ne veut pas retrouver son duvet baignant dans une flaque d’eau dès 8h du matin.
Cette large vallée aux dégradés de couleurs fantastiques nous apporte un sentiment de sérénité. Nous sommes les rois du monde mais celui-ci est un peu sec, fait simplement de cailloux et de neige. Et puis soudain le soleil et l’altitude nous accablent. Les gestes deviennent mesurés, les pas réfléchis. A 5000m, inutile de se fatiguer trop vite. Le monde se rétrécit bientôt, les conversations deviennent courtes, nous nous limitons à la tente puis au duvet. Paracétamol, aspirine, eau, musique, boite à pipi… le temps passe.
En fait, nous ne réagissons pas tous de la même façon à l’altitude. Renaud est dans son élément, il organise, trie, refait les sacs, discute avec les porteurs. Yannick a pris les devants en mesurant ses efforts. Il est confiant. Romain, ayant couru derrière nos porteurs le matin pour s’assurer qu’ils prenaient le bon chemin, paye chèrement ces efforts superflus. Julie, elle, avance prudemment tandis qu’Alex a trouvé la parade idéale : elle somnole en chemin. A notre grand dam, nos porteurs semblent totalement indifférents à l’altitude. Indra (notre cuistot) et Rames (surnommé Sourire pour sa constante bonne humeur) restent avec nous, les autres redescendent de 1000m se mettre au chaud à Naär.
Nous faisons une reconnaissance l’après-midi même jusqu’au glacier. De notre promontoire, nous apercevons un itinéraire qui semble pouvoir nous mener au sommet du Chulu Far East. Un vaste col pourrait même accueillir un Camp 1 assez confortable. Une grande partie de l’itinéraire nous reste caché, et le doute plane sur la présence ou non de toute sortes d’obstacles qui pourraient nous barrer définitivement la route, et mettre un terme à notre projet d’ascension : barre rocheuse, crevasse, arête infranchissable, etc.
20 octobre :
(Renaud et Yannick) : CB Chulu – Camp 1
Notre calendrier ne nous permet pas de prendre de jour de repos au camp de base : nous devons dès aujourd’hui monter au Camp 1. Malheureusement, cette première nuit à 5000m n’a pas été aussi réparatrice qu’escompté pour tout le monde. Yannick et Renaud sont en forme, ils iront reconnaitre l’itinéraire avec un jour d’avance sur le reste de l’équipe.
Nous démontons donc notre tente légère et chargeons nos sacs sur le dos : duvet, matériel d’alpinisme, affaire de bivouac, et trois jours de nourriture. Nous prenons rapidement pied sur le glacier, que nous franchissons sans encombre pour atteindre le pied du col. De là, une moraine assez instable nous permet de prendre pied sur la langue du glacier suspendu. Nous rejoignons le large col glaciaire à environ 5600m, montons la tente en vue de l’itinéraire de montée, faisons du thé puis nous reposons un moment pour nous acclimater.
Devant notre bonne forme, nous hésitons à tenter dès aujourd’hui le sommet du Chulu Far Esat, car l’arête qui nous relie à lui, bien que cachée en grande partie, ne nous semble pas très difficile. Nous suivons finalement la raison, et faisons une simple reconnaissance pour le lendemain.
(Julie, Romain et Alexandra) Jour de repos au Camp de Base Chulu
Romain, Julie et Alex sont en petite forme après une nuit pas franchement reposante et prennent la décision raisonnable de s’accorder un jour de repos à la même altitude. Avouons le, une journée de repos à 5000m, ce ne fut pas l’expérience la plus trépidante de notre vie. Alors, chacun à notre tour, nous allons nous défouler (sachant que l’énergie disponible est inversement proportionnelle à l’altitude) : creuser des toilettes au piolet dans les cailloux gelés, faire un abri pour se poser à l’extérieur de la tente, disposer des cairns autour de notre camp. Dans la tente, l’inconfort thermique est permanent : la température fait des sauts de 10 °C tous les quarts d’heure : nuage, pas nuage, nuage… On se console en se disant que nous avons la chance de nous ennuyer royalement à 5000m d’altitude, chouette.
21 octobre :
(Renaud et Yannick) C1 – Chulu Far East
Nous nous levons tôt ce matin pour notre première ascension. C’est l’anniversaire de Yannick et celui-ci tente son premier 6000m pour l’occasion. La température extérieure est glaciale… Nous reprenons nos traces de la veille qui nous mènent au milieu du vaste col. Un premier système de crevasses, que nous n’avions pas vu les jours précédents, nous contraint à trouver un chemin tortueux parmi les trous béants.
Nous prenons de l’altitude en remontant les pentes de l’antécime du Chulu, un sommet à environ 5900m dont nous réalisons probablement la première ascension. Nous apercevons enfin l’arête qui relie notre sommet à l’objectif de la journée : c’est une fine arête très himalayenne, coiffée de corniches et entrecoupée ça et là de ressauts raides.
Dans les nuages qui prennent maintenant notre arête de toute part, nous allongeons notre encordement et repartons de plus belle. Quelques passages de corniche nous mènent à la base de la pyramide sommitale. Nous décidons de l’attaquer en suivant un système de couloir qui serpente dans la face nord. Nous rejoignons ainsi l’arête sommitale juste sous le gros champignon de neige que nous avions aperçu du bas. Contrairement à nos attentes, le passage de celui-ci se fait sans encombre. L’arête qui nous mène maintenant au sommet est encore plus jolie, plus effilée… Nous posons les sacs et terminons notre ascension dans une éclaircie surnaturelle.
(Julie, Romain et Alexandra) CB Chulu – Camp 1
Du fait de notre relative inactivité la veille, nous sommes sur le pied de guerre relativement tôt. La montée au camp 1 se divise en trois parties distinctes : remontée de la moraine jusqu’au glacier, traversée du glacier plat en slalomant au milieu des crevasses et montée finale jusqu’au col (moraine et pentes en neige/glace à 35°C) où est installée la tente orange vif des gars. Alex qui met ses chaussures de l’espace pour la première fois (des Cripis de ski nordique bricolées et des crampons mal réglés et trop petits – erreur de débutante) ne fait pas la maligne sur la première pente de glace. Le ciel est bas, le glacier s’estompe dans les nuages, le moral est au niveau des crampons : bas mais on s’accroche. Quelques minutes après notre arrivée à la tente, Renaud et Yannick apparaissent, de retour du Chulu Far East.
22 octobre – Chulu Baccah Himal (5700m) - CB
Ce matin là, nous nous levons un peu étourdis par l’altitude, le froid, le vent et le passage d’un gros léopard des neiges (si, si, Alex l’a entendu manger dans nos réserves toute la nuit ! Pourtant ce matin, aucune trace dans la neige fraiche… bizarre ! ). Nous avançons doucement sur le glacier, contournons notre premier objectif en quête d’une pente moins raide pour y accéder, les pentes au-dessus de notre camp étant trop chargées. Mais les « wouf » se font bientôt trop insistants. Alors nos deux cordées revoient leur objectif et nous décidons de viser un sommet moins exposé, un peu plus loin et culminant à 5700m. Nous voilà tous ensemble en haut, savourant la vue et découvrant la mascotte qu’a montée Yannick : un énorme lapin rose gonflable qui a fait tout le voyage avec nous depuis 15 jours, caché au fond d’un sac ! Rigolards, nous posons avec le lapin pour quelques photos, puis reprenons nos traces pour la descente. Nous démontons le camp 1 et rentrons au camp de base. Batsu a construit un énorme cairn au pied du glacier. Le soir venu, nous fêtons l’anniversaire de Yannick (foie gras, pain d’épice et gâteau) et jouons le nom de notre sommet aux dés. Romain gagne, c’est donc sa proposition que nous retenons. Le voilà nommé « Chulu Baccah Himal ». Baccah signifie enfant en népali. C’est le record d’altitude d’Alexandra et de Julie !
23 octobre
(Renaud, Yannick et Alexandra) CB – Naär
(Julie et Romain) CB - Nagwal
Julie et Romain nous quittent, ils passent le Kang La et s’en vont retrouver le tour des Annapurna. Ils boucleront finalement celui-ci par le Thorung la (5416m) jusqu’à Jomsom en quatre jours, au lieu du retour à Bulbhule prévu initialement.
Alex, Yannick et Renaud qui devaient rejoindre un nouveau camp de base au pied de la face Nord du Pisang Peak modifient leur plan à cause de la chute de neige de la nuit : les moraines semblaient raides vues de Naär, et le verglas les rend maintenant impraticables. Ils retrouvent donc avec plaisir le village de Naär : quelques degrés en plus, quatre murs qui stoppent le vent, un matelas, des visages familiers, des discussions autour de la petite turbine en panne avec le chef du village, le bruit des fléaux…
Exploration au Pisang Peak
24 octobre : Naär – Camp de Base du Pisang Peak (4900m)
Le lendemain matin, accompagné de deux porteurs, nous gravissons les alpages de yacks puis la moraine qui domine Naär. La montée, dans la moraine immense et gelée est fastidieuse. Après quelques heures de marche, nous trouvons une croupe sur laquelle nous dégageons un espace à coups de piolets pour y caler la tente, que nous rendons aussi plat que possible. Nous nous glissons rapidement dans la VE25. Là, impossible de nous soustraire à nos rituels : thé, lyoph, soupe, jeu de dés. A 18h30 tout le monde est couché ! Demain, l’objectif est de monter au col surplombant le camp et d’aller rendre visite à la pointe cotée 5699m sur certaines cartes pour permettre une reconnaissance visuelle de l’arrête menant au Pisang Peak pour le surlendemain.
25 octobre : Ascension du Tycho Himal (5700m) – Retour à Naär
6h… le réveil n’a pas sonné ! Les regrets s’estompent très vite : à 5h30, la température est trop basse, le soleil trop loin. Nous partons après un petit déjeuner succinct, gravissons encore de la moraine enneigée, puis prenons pied (et crampons) sur les pentes de neige. Les pentes sont encore chargées de la dernière chute, deux jours plus tôt. Celle-ci n’a pas transformé, elle est légère, très froide, et peu consistante. La pente se redresse, le couloir se resserre. Renaud, en redescendant d’une vingtaine de mètres pour s’encorder avec Alex, fait partir une coulée qui embarque une bonne partie de la combe. Nous rejoignons le col, un peu déstabilisés.
Une fois au col, Yannick et Renaud regardent avec scepticisme l’attaque de l’arête Ouest du Pisang, objectif du lendemain. L’arête est très rocheuse, c’est de l’escalade pure. Chaussés de chaussures d’expé, nous ne nous sommes pas équipés pour cette éventualité : les friends sont restés à Naär. Le morceau semble velu, un peu trop… Nous préférons renoncer sans trop de regrets, et rattraper ainsi le jour de retard pris la veille.
Nous voilà donc remotivés pour atteindre la pointe 5700 aujourd’hui. Nous commençons à remonter l’arrête constituée de piles d’assiettes posées les unes sur les autres. Mais chez Alex, la motivation est de courte durée et elle décide de faire une petite sieste sur le fil de l’arrête pendant que Renaud et Yannick filent au sommet. Peu difficile, l’ascension s’avère néanmoins scabreuse. Peu probable qu’on nous ait précédé sur ce sommet, le ménage entier reste à faire ! La pointe 5700, c’est un tas de cailloux instable duquel Renaud et Yannick font tomber, malgré leurs précautions infinies, des pavés sans discontinuer. Nous installons au sommet quelques lugtas, les drapeaux à prière bouddhistes, afin de protéger Naär et ses habitants. Nous lui donnons un nom : Tycho Himal. C’est celui d’un astronome danois Tycho Brahé, qui a fait vainement des mesures de positions d’étoiles toute sa vie. Cette masse de mesure, résultat d’une vie entière, sera exploitée par son disciple Kepler. Il en extraira quelques années plus tard les lois simples et élégantes qui le rendront célèbre. Nous nous sentons proches de Tycho aujourd’hui : nous avons défriché dans l’ombre pour nos successeurs : prenez vos friends et vos chaussures de rocher ! Sur le chemin de retour de notre beau Tycho Himal, Renaud manque de faire une glissade malheureuse de plusieurs centaines de mètres… Décidément, nous rentabilisons notre corde !
La face nord du Pisang est encore trop chargée de neige pour la tenter en alternative à l’arête Ouest. Inutile de prendre racine en attendant la fonte des neiges ici. Nous replions notre camp et en redescendons les 75kg à 3, quand nous étions cinq à les porter à l’aller… Nous atteignons Naär à la nuit tombée, sous le regard inquisiteur des villageois.
Au loin, le Bhrikuti
26 octobre : Naär -Kyang
27 octobre : Kyang- Phu
Nous partons pour le village de Phu, à deux jours de marche. Nous faisons un bout de chemin avec un couple de français, amoureux du Népal. Ils répondent bien volontiers à toutes les questions que nous leur posons et rendent le trajet gai et léger. Nos chemins se séparent au croisement des chemins Méta-Phu. Le chemin joue alors les montagnes russes au milieu des moraines puis, le lendemain, nous remontons des gorges ahurissantes. Le sentier s’élève le long des parois et l’érosion façonne des paysages grandioses, incertains et éphémères. Nous devinons d’anciens sentiers gardés jalousement par quelques places fortifiées aux murs larmoyants. Les chortens, peints d’ocre, sont laissés au vent. Phu apparaît. Etrange ville aux allures moyenâgeuses, couleur poussière. Un village fait d’ombres et de lumière. Sur chacun des toits, un petit panneau solaire, qui donnera quelques heures de lumière blafarde la nuit venue. La rivière embarque déchets et excréments. Les enfants, étudiants à Katmandou et revenus à l’occasion de Dasain, parlent anglais et portent des vêtements modernes, contrastant avec les tenues traditionnelles. Des lodges ont poussé à l’entrée du village depuis trois ans.
Pourtant, une certaine sérénité se dégage de ce village. Ici, point de batteurs, point de yacks barrant l’accès au voyageur, mais des réunions de villageois réjouis à l’idée de voir leur portrait sur le dos de l’appareil photo de Renaud, des enfants qui entassent la paille sur le toit des maisons, des mules qui paissent jusque dans les ruelles sinueuses. Et l’esprit de cette partie haute du village, abandonnée aux quatre vents, les portes closes, au dessus de la falaise qui s’écroule, rongeant un à un ces vestiges d’habitation vides…
Il nous faut maintenant prendre une décision sur la suite. Nous étalons les cartes au sol, étudions nos chances de réussite, nous renseignons sur les expéditions déjà présentes dans les alentours, etc. C’est l’un des feuillets photocopiés du bouquin de P. Grobel et de J. Annequin « Sommets du Népal : Les plus belles ascensions » qui nous donne la clef : princesse Bhrikuti, nous voilà ! Au loin, dans la vallée du Phu Khola, se trouve le Saribong La, un col qui permettrait de fleurter avec la frontière tibétaine et de passer au Mustang.
28 octobre : Phu – Nagoru Karka
29 octobre : Nagoru Karka – CB Bhrikuti (5000m)
Deux nouvelles journées de marche nous permettent d’atteindre le camp de base du Bhrikuti, bien au-delà de la limite nord de toutes nos cartes : nous naviguons maintenant à vue. Entre temps, nous renvoyons à Katmandou un porteur visiblement mécontent d’être parmi nous. Il repart avec une partie de la pharmacie, notre deuxième brin de corde, le caisson hyperbare et nos petites affaires qui rentraient dans la case « confort ». A peine arrivés au camp de base, le reste de notre équipe de porteurs redescend à Phu. Indra et Rames repartent le lendemain pour Katmandou, comme le prévoyait leur contrat. Et puis notre téléphone nous annonce que nous n’avons plus de crédit. Ah bon ? Nous avons payé pour 50 min, et nos calculs nous portent à 20 minutes maximum de communication. En tout cas, chez ACES, plus de crédit signifie ne plus pouvoir passer de coup de fil (déjà que c’était difficile) ET ne plus pouvoir en recevoir. Fantastique ! Nous avons beau retourner les papiers du téléphone dans tous les sens, nous ne parvenons pas à recharger notre crédit. La tactique sera donc claire pour la suite… Sans téléphone, à 9 jours de marche du premier véhicule, nous gardons de la marge en toute circonstance ! Résumons : trois alpinistes seuls sans téléphone sat, un camp de base vide avec pour toute cachette des pierres pour nos duffle bag, un brin de corde, une tente, du gaz et de la nourriture en quantité restreinte, plus de carte : la liberté !
30 octobre : CB Bhrikuti – C1 (5000m)
31 octobre : C1 – C2 (6070m)
Les sacs bien lourds, nous remontons laborieusement la moraine sous un ciel lézardé de filaments de nuages et posons notre camp 1 au pied de la langue du glacier du Bhrikuti. Renaud monte encore une centaine de mètres pour ramener de la glace pour l’eau. Et la pharmacie ? Aïe, égarée dans la moraine. Nous comptons : dans notre bout du monde, il nous reste 3g d’aspirine et quelques médocs pour œdèmes pulmonaires et cérébraux.
Le lendemain, le ciel est bas… il se met bientôt à neiger à gros flocons. Nous gravissons les pentes du Bhrikuti avec une visibilité réduite. Après avoir remonté la moraine, nous prenons pied sur le glacier. La visibilité n’excède pas 10m quand nous trouvons une plate-forme pouvant accueillir notre tente, au milieu de ce glacier dramatiquement incliné. Nous posons notre camp 2 sur ce replat entraperçu au milieu des nuages, placé entre les deux lèvres d’une crevasse. Il neige toujours abondamment et nous nous pressons pour pelleter, établir une surface plane et monter la tente. Le moral d’Alex est aussi bas que nous sommes hauts. Nous sommes à environ 6100m, la pression atmosphérique est de 484 hPa… Le vent ne baisse pas de la nuit, la température se fait encore plus fraiche (-25°C). Alex se bat avec ses angoisses alors que dehors, la tempête fait rage.
1er novembre : Ascension du Bhrikuti (6361m) et du Julie Himal
Heureusement le soleil est de nouveau là ! Nous émergeons doucement de la tente et partons pour le sommet vers 9h. Toute la vallée s’étend au dessous de nous, couverte d’un fin film blanc. Au loin le Nemjung (7140m) rappelle quelques souvenirs à Renaud. Il n’y a pas de vent, il fait bon et nous sommes en polaire. Nous avançons doucement, sereins. A 11h nous sommes au sommet, un peu portés par l’émotion, tout de même ! Au nord, nous découvrons le vaste plateau tibétain qui se perd au loin en une multitude de collines, poudrées de blanc par la tempête de la vieille. Au sud, trois des plus hauts sommets du monde imposent leurs formes à l’immensité des montagnes népalaise : le Manaslu, l’Annapurna I et le Dhaulagiri. Il n’y a pas de doutes : nous sommes à l’extrême nord-est de la chaîne de l’Himalaya, sur cette ligne de crêtes incroyables qui délimitent la frontière avec le Tibet. Yannick et Renaud regardent autour d’eux : pourquoi rentrer maintenant, la journée ne fait que commencer ! N’y a-t-il pas un autre sommet à faire ? Pour Alex l’objectif est atteint. Impossible d’aller plus loin, elle repart donc pour le camp 2. Renaud et Yannick s’en vont sur le sommet suivant, que Yannick nommera Julie Himal. Nous nous retrouvons tous à la tente pour une seconde nuit à 6000m. Plus de chute de neige, plus de vent…seuls les craquements du glacier rompt le silence de la nuit.
2 novembre : Ascension du Lagula ou Lugula (6910m)
Ce matin là, réveil pas moins difficile que la veille, à 6h du matin. Les nuits à 6000 ne sont pas une sinécure. Renaud lui est porté par l’idée d’un autre sommet. Nous visons celui qui surplombe le camp de base et qui domine largement les lieux : le Lugula. N’ayant aucune carte de la région, nous ne connaissons pas son altitude mais la soupçonnons plus haute que 6800m. Nous reprenons la trace de la veille. Au bout d’une heure, Alex fait demi-tour. Renaud et Yannick basculent derrière le Bhrikuti et descendent à un col vers 6100m. Nous nous décordons dans l’immense combe qui nous permet d’atteindre le pied de l’imposante face du Lugula. Moins bien acclimaté, Yannick fait demi-tour. Renaud continue seul et se dirige vers l’arête de neige qui borde la face par sa droite. Pour cette tentative solitaire et isolée, il met des conditions : il s’autorise deux passages techniques à la montée, pas plus. En fait, il y en aura trois. A 6700, croyant le sommet proche, il dépose son sac et sa doudoune : le sommet semble à un jet de piolet. A 6800, le sommet n’est toujours pas là et le vent d’altitude se lève, glacial. Il arrive enfin au sommet à 6910m, prend une demi-seconde de repos, dépose les lungtas qu’il avait en poche, et fuit le froid et le vent.
Arrivée à la tente vers 14h. Un peu hébété, il boit la soupe que nous lui avons préparé, se pose quelques instants pendant que Yannick et Alexandra finissent de replier le camp. Pas de troisième nuit à 6000, sans gaz, nous descendons au camp 1 ! La descente est longue, Renaud titube de fatigue, Alex se crispe sur ses crampons, Yannick avance, silencieux. Au camp 1, la veillée est courte et le sommeil vite profond.
3 novembre : Retour au CB
Le lendemain, de nouveau, nous reprenons nos sacs, faisons nos adieux au Bhrikuti et allons user nos chaussures dans la moraine interminable. Et voilà, la partie alpinisme de notre voyage est déjà terminée. Devant nous se profile le chemin du retour et nous nous prenons à rêver de nourriture. En attendant, au milieu de la moraine, nous retrouvons nos baskets cachées dans un sac sous des cailloux. Elles sont prises dans une gangue de glace… Quel le déception ! Nous rentrons donc au camp avec nos chaussures de l’espace. Le soir venu, nous attendons l’arrivée de nos trois porteurs. Ils arrivent avec le dernier rayon de soleil, le « Namaste » chantant et le sourire aux lèvres.
Sur le chemin du retour, ou le réveil des estomacs
4 novembre : CB - Phu
5 novembre : Phu – Naär
Nous avons repris le chemin de la rivière, fait deux étapes en une pour retrouver Phu et l’odeur si agréable de l’herbe soulevée par le soleil. Au menu, un copieux Dhal Bat : riz, soupe de lentilles et légumes au curry. Ce soir, nous expérimentons la viande de yack séchée. Nous rêvions depuis un moment de cette viande de yack séchée au dessus du foyer des cuisines népalaises. Nous avons humé la viande qui cuisait avec appétit, gouté celle-ci avec enthousiasme, mastiqué avec étonnement, reniflé avec un peu de suspicion, suçoté les bouts de tendons et d’os, un peu incertains… pour finir avec un constat mitigé. Nous avons gouté, nous avons vu, on ne nous y reprendra pas forcément.
Le lendemain, nous repassons pour la troisième fois la porte de Naär où nous passons la nuit.
6 novembre : Naär – Ngawal
Réveil matinal (5h30) pour passer, en une seule étape le Kang La et dévaler le pierrier et les alpages jusqu’à Nagwal. Nous admirons une nouvelle fois la vue sur les Annapurnas avant de nous réfugier du vent dans un lodge ensoleillé. La nuit venue, les villageois fêtent Dasain et passent en chantant d’une maison à l’autre. Nous sommes maintenant de retour sur le sentier du tour des Annapurnas, bien heureux de rencontrer un couple suisso-uruguayen avec qui nous jouons aux dés. La langue espagnole nous fait rêver à de nouveaux voyages.
7 novembre : Nagwal - Manang
L’expé est finie, l’expé est réussie ! Nous sommes en vacances et profitons de chacun de nos pas qui nous ramènent petit à petit vers la civilisation. Nous flânons en chemin, prenons le temps d’apprécier des pâtisseries à Manang. Ici, il y a le téléphone, internet, des cinémas, des petites boutiques et deux boulangeries : ceux qui ont vécu à Katmandou sont revenus avec la volonté d’entreprendre et font de Manang une petite ville touristique anachronique dans le paysage économique de la vallée. Nous y prenons même une douche ! La première depuis 28 jours.
8 novembre : Manang – Thorong La Phedi
9 novembre : Thorong La Phedi – passage du Thorong La – Muktinath
10 novembre : Muktinath – Jomson
Les jours suivants nous mènent au Thorong La. Un chahut nous réveille à 3h du matin : ce sont les trekkeurs qui font le tour des Annapurnas qui partent habituellement entre 3 et 5 du matin pour la grande ascension du Thorong La, le fameux col à plus de 5400m. Nous n’avons pas le courage d’un départ si matinal et en commençons l’ascension vers 7h. Nous profitons de notre acclimatation pour jouir de la montée au soleil et pour doubler une bonne partie des voyageurs frigorifiés par leur marche matinale. Ce col est le point culminant du tour des Annapurnas et les marcheurs doivent gérer les étapes pour s’acclimater pour son franchissement. Nous rejoignons Muktinath du chocolat plein les poches : une campagne complètement incongrue de promotion de chocolat israélien attendait ses compatriotes au pied du col ! Quant à notre dernière journée de marche, elle nous fait traverser le joli village de Lubra, illuminé des couleurs de l’automne. Les conversations tournent en rond : les gars ne rêvent et ne parlent que d’une chose, de manger !
11 novembre : Jomson – Pokara
12 novembre : Pokara – Katmandou
Deux petits avions successifs nous ramènent à Katmandou, avec une escale délassante à Pokara : balade sur le lac, baignade, achats de souvenirs. Alex est contente, elle a enfin pu défaire ses tresses et se laver les cheveux. Les gars aussi, ils ont enchaîné 3 petits-déjeuners et se préparent à choisir le restaurant pour le déjeuner : victoire !
La fin de l’expédition est arrivée. Mais c’est sans regrets : nous avons pleinement profité de notre voyage, nous avons plusieurs centaines de photos à trier, des histoires à raconter et nous avons plein de petits et grands projets pour notre retour en France !