Synthèse du projet original
Comme tous les enfants, grimper dans les arbres était un
de mes jeux favoris. À partir d’expériences et de différentes formations
(initiateur fédéral d’escalade, perfectionnement grimpeur d’arbres, stages
photos et vidéos…), j’ai acquis un savoir-faire dans la prise de vue et dans la
progression verticale et horizontale dans le monde arboré. Mon goût et mon
habitude des voyages m’ont alors poussé à m’orienter vers les forêts
tropicales.
Une première expédition en Amérique Centrale a été
réalisée en collaboration avec le MINAE durant l’année 2006/2007 (Ministère de
l’environnement au Costa Rica). Avec mes connaissances de grimpeur d’arbres,
leurs savoirs sur la forêt tropicale et mon équipement, nous avons établi un
projet d’observation de mammifères et d’oiseaux. Au cours de ces expéditions,
j’ai accompagné différentes personnes (scientifiques, gardes forestiers,
photographes) dans des campements nomades installés dans la canopée (filets,
tentes suspendues, etc.). L’exploration de ce milieu fut assez difficile étant
donné les conditions de chaleur et d’humidité. Certaines conceptions et
adaptations personnelles à ce type de forêt ont vu le jour au cours et à la
suite de cette première expédition.
Après avoir parcouru une partie des forêts tropicales du
Costa Rica, j’ai imaginé un nouveau projet d’exploration de la forêt
amazonienne. Avec 5,5 millions de km2, cette forêt représente
plus de la moitié des forêts tropicales restantes. Dans un premier temps, ce
projet sera basé au Pérou, dans le parc national Tingo Maria (18 000 hectares).
À partir de techniques de cordes spécifiques, nous allons accéder
au toit de la forêt (60 à 70 m). Une fois parvenus dans la canopée, nous
installerons un campement nomade qui sert de poste d’observation. Ce
campement arboricole a été conçu durant mon stage de fin d’étude en
collaboration avec Hévéa & FTC. Le campement est établi en général pour plusieurs
jours. Grâce à d’autres techniques, il nous sera ensuite possible d’évoluer en
autonomie dans la canopée. Le but de ce projet est de récolter le maximum de
prises de vues et d’informations à caractère environnemental. Photographier et
filmer dans un arbre nécessite certaines adaptations à ce milieu. Certaines
espèces sont difficiles à observer et d’autres sont encore sûrement inconnues ;
pour cela photographies et vidéos sont des preuves importances attestant leur
existence et de leurs habitats.
À long terme, l’objectif est de préparer et d’accompagner
des expéditions dans différentes forêts à travers le monde.
Compte rendu chronologique
Après avoir atterri à Lima, je suis parti rejoindre le
reste de l’équipe à Tingo Maria, au pied des montagnes de La Bella Durmiente.
Nous avons alors commencé à nous préparer: répartition du poids dans les sacs et
des taches ; explications et présentations des nouveaux matériels pour cette
expé (campement arboricole, cordage, panneaux solaires, gourde filtrante…).
Cependant, le parc de la Bella Durmiente n’a pas
correspondu à nos attentes. Cette zone est une forêt secondaire, aux pentes
abruptes, aux arbres jeunes… En conséquence, la faune présente était peu
significative de la biodiversité que l’on peut trouver dans les forêts
tropicales. Nous avons alors rapidement pris contact avec une autre réserve peu
connue, celle d’Amarakaeri.
Cette dernière voisine le Parc national Manu (le plus
grand du Pérou). Ces deux zones ont une surface forestière équivalente. Elles
sont séparées par le rio Madre de Dios. Les communautés indigènes natives
du Parc Manu n’ont jamais été trop hostiles à la venue d’étrangers dans leurs
forêts (scientifiques, reporters, touristes…) facilitant la création d’un parc
national, avec toutes les réglementations nécessaires. Actuellement, de
nombreuses aides venues de l’extérieur facilitent le fonctionnement de ce Parc.
À l’inverse, les communautés indigènes natives d’Amakeri
n’ont jamais favorisé le contact avec l’extérieur. Aujourd’hui, cette zone est
gérée par huit communautés réparties dans toute la forêt. Elles ont créé une
réserve communale, une structure qui a peu d’impact sur la protection. Depuis
peu, des compagnies minières et pétrolières ont commencé à entrer dans la
forêt. Restée dans l’oubli, aucun reportage ni découverte scientifique n’y a
été réalisé, qui auraient pu faire dresser l’état de sa biodiversité.
C’est pour cette raison que nous avons dirigé notre
expédition vers cette réserve, située entre Tingo Maria (au nord) et Cusco (au
sud). Plus de 40 heures en bus locaux sur des pistes, en passant par des
cols à 4 000 m, nous sont nécessaires pour l’atteindre… De là, nous avons
fignolé les derniers préparatifs cherchés d’ultimes informations et pris les
derniers contacts nécessaires, puis nous avons pris le premier camion venu pour
nous enfoncer dans la forêt. Entassés avec d’autres Péruviens, entre deux
citernes de pétrole et de nombreuses caisses de vivres, nous sommes descendus
jusqu’à Atalaya, pour rejoindre la zone de reforestation où œuvre notre
contact, Magadalana Ruiz. Durant une semaine, nous avons exploré les forêts
prémontagneuses des alentours, en utilisant la case des volontaires comme camp
de base. Durant des longues marches, par monts et vallées, deux sites adéquats
ont été déterminés: il nous faut des arbres dont le houppier dépasse les
autres, avec des arbres en fleur proches, ce qui offre de fortes possibilités
de voir des espèces variées…
Au cours de l’ascension du premier arbre (un matapalo) nous nous sommes frottés à une
première difficulté: quelques-unes, puis des dizaines, des centaines de
petites abeilles noires ont commencé à envahir la moindre partie de peau nue et
le moindre orifice des trois coéquipiers (visage, narines, oreilles, bouches,
yeux, cheveux…), à la recherche des sels contenus dans notre sueur, rendant
notre ascension et notre évolution dans le houppier très difficiles… Les locaux
appellent ces abeilles Pega hojo, Corta pelo… Elles ne piquent pas et
mordent seulement quand elles sont excitées… Les jours suivants, nous avons
délicatement essayé d’installer notre poste d’observation ; en vain. Plus nous
restions, et plus ces abeilles attirent d’autres insectes en tout genre, plus
ou moins amicaux. Dépités, nous sommes revenus au camp de base, en pensant que
nous n’avions pas choisi le bon arbre (présence d’essaim). En escaladant différents
arbres, nous avons alors un peu mieux compris le fonctionnement de ces
insectes. En déplacement, nous n’en voyons aucunes car elles n’ont pas le temps
de « s’accumuler » autour de nous, mais dès que nous tenant de
grimper et d’installer un campement, notre longue présence dans la même zone
suffit à les attirer…
Nous nous sommes alors accoutumés à leur présence, avons
appris à évoluer avec elles: les sessions intenses de grimpe et d’installation
étaient à faire avec patience, la tête dans une moustiquaire et avec des gestes
lents pour ne pas les exciter. Ensuite pour l’observation, il fallait profiter
d’horaires précis: à l’aube (de 5 à 6 h 30) et au coucher du soleil (de 17 à
18 heures). Je prends du temps pour expliquer ce détail car la vie en
symbiose avec ces insectes n’a pas été évidente à gérer…
Après avoir exploré cette forêt prémontagneuse et réussi à
observer les fameux gallitos de las rocas (l’oiseau national du Pérou), nous avons grimpé dans un autre camion pour
descendre vers la forêt basse (selva baja),
et rejoindre à la fin de la piste, la petite communauté native de Shintuya.
Dernier village joignable par voie terrestre, Shintuya était vidé de sa
population: la compagnie pétrolière a embauché tous les hommes disponibles
pour ouvrir des pistes et prospecter la forêt. À ce village, nous sommes
accueillis par Don Lucho et hébergés dans sa case qui va servir de point de
base pour la suite du projet. L’exploration de la zone a pu commencer. Quelques
pêcheurs restés au village nous ont aidés à naviguer sur le rio Madre de Dios
et pénétrer plus profondément dans la forêt. Les heures en bateaux nous ont
réservé parfois de belles rencontres furtives, notamment avec un otorongo (cousin du jaguar) sur la rive…
Après plusieurs jours de marche d’exploration avec Efraim, un natif, nous avons
trouvé la colpa de los Guacamayos (lieux de passage des Aras rouge). Et c’était reparti pour l’ascension,
l’installation du campement et des cordes d’accès pour graviter autour de cette
fameuse colpa. Les horaires
d’observation ont alors été bien précis: 5 à 7 heures le matin, 17 à
18 heures le soir. Ces grands perroquets étaient d’une ponctualité
exemplaire pour, chaque jour, venir manger, se pavaner, se lisser les plumes!
Le reste de la journée, nous profitions de ce laps de temps pour redescendre et
explorer les alentours (sentiers, recherche d’empreintes, rivières et
cascades…).
Au campement aérien, la vie s’organise pour optimiser
l’espace vital: chacun sur son côté du triangle, les sacs et la nourriture
suspendus au milieu, formant un vrai sapin de Noël. En plus des différents
oiseaux qui nous survolaient, des hélicoptères de la compagnie pétrolière
continuaient leurs allers-retours pour apporter du matériel au plus profond de
la forêt, dans les campements de prospection…
Enfin après avoir observé suffisamment ces aras, nous
avons tout replié et nous sommes rentrés à Shintuya. Nous étions déjà début
septembre. Fatiguée des insectes et de l’humidité de cette forêt, épuisée par
les portages, Sandra a pris la décision d’arrêter le projet et de rentrer en
ville… Avec César, nous l’avons alors raccompagnée jusqu’à Cusco, et en avons
profité pour nous approvisionner en vivres pour le deuxième mois.
L’aventure a continué à deux. Nous avons alors adopté une
autre stratégie pour explorer la forêt, en prospectant de manière plus légère
et en laissant le campement dans la case de Don Lucho. Ainsi, alourdis
seulement du matériel d’escalade, de quelques vivres et de quoi dormir au sol
(duvet + bâche), nous avons continué d’explorer la zone de Shintuya. La
journée, nous marchions avec un ami Machinguinga, Don Mariano, appartenant à
une des tribus vivant à plusieurs jours de marche. Sa grande connaissance de la
forêt nous a permis de reconnaître de nombreuses plantes et oiseaux. Parfois,
les sentiers ne semblaient ne plus en finir et se ressemblaient tous, mais
grâce à l’instinct et au sens de l’observation de Don Mariano nous avons pu
nous orienter et découvrir par exemple de l'aigle Aguila Crestada.
Parfois, les rencontres étaient moins idylliques. Au
détour d’un sentier, nous nous sommes plusieurs fois retrouvés nez à nez avec
des coupeurs d’essences d’arbre rares. Une fois l’arbre coupé (plusieurs mètres
de diamètre au niveau du sol), ils tronçonnaient le tronc en poutres qu’ils
transportaient à dos d’homme sur plusieurs kilomètres… et les chargeaient dans
leurs bateaux pour les vendre aux villages les plus proches. En tant que
natifs, ces coupeurs sont dans leurs droits d’exploiter et « gérer »
leur forêt… Mais vu des dégâts dans certaines zones, attristés de cette vision,
nous repartions avec une certaine mélancolie…
À la fin des journées, nous nous empressions de grimper
dans la canopée pour observer le ballet des oiseaux, en choisissant les arbres
les plus hauts (environ 60 m). Cette technique fut plus rapide que
d’installer le campement, mais notre ascension dans la canopée n’était pas
suffisamment silencieuse. Certains oiseaux nous entendaient et s’envolaient au
loin. Lorsque la nuit était tombée, nous redescendions au sol pour installer un
campement de fortune. Parfois, sur certaines zones, nous partions à l’affût
observer les mammifères nocturnes. Les résultats ne furent pas très
encourageants, surtout après s’être fait coincer par un orage… Dans ce type de
forêt, lors des orages, toutes les rivières doublent, triplent de volume en peu
de temps, il est parfois bien difficile de retraverser une rivière dont le
courant et la hauteur d’eau étaient alors démesurés!
Après une dizaine de jours évoluant dans la zone de
Shintuya, une idée a commencé à germer dans nos têtes… Le Péquépéqué (pirogue à moteur) est le moyen de transport le plus
commun dans cette forêt. Grâce à quelques pêcheurs, nous avons pu profiter des
cours d’eau et ainsi gagner de nombreuses heures de marche. Que nous restait-il
donc à faire pour aller voir plus loin ?
Descendre le rio Madre de Dios, en autonomie, avec notre
propre embarcation! Grâce aux connaissances de César sur les différentes
essences de bois et mon savoir-faire de bricoleur, nous nous sommes construits
notre balsa (radeau): 5 troncs de 5
mètres, coupés et taillés à la machette, assemblés avec de la cordelette, et le
tour était joué! Après un peu de pratique, nous avons chargé tous le matériel
(campement y compris), suffisamment de vivres, et un jour de beau temps, nous
avons commencé à descendre le rio Madre de Dios… Une petite peur au ventre,
nous guettions les quelques zones de rapide, et surtout les nuages au loin! Ce
rio est assez calme pour naviguer aisément, sauf si l’orage survient! Le rio
se charge alors rapidement, le courant augmente, emportant certains arbres de
la berge qui « naviguent » sur ce rio devenu fleuve… Ce jour-là,
« nous avons jeté l’ancre » pour monter le campement dans un petit
arbre à quelques mètres du sol. Les jours suivants, nous sommes partis à la
recherche d’un grand arbre pour installer un dernier campement car nous étions
déjà aux alentours du 20 septembre. Nous avons alors trouvé un grand Shihuahuaco (environ 50 m) qui
commençait à renouveler ces feuilles, ce qui en faisait un parfait point
d’observation!
Installés confortablement, nous avons passé les derniers
jours de l’expédition à observer les vols des différents oiseaux, qui parfois,
à notre grande joie, venaient se poser dans le houppier de notre arbre… La
saison des pluies commençant à arriver, nous avons eu aussi le plaisir de
profiter pleinement des « tormenta
tropical » (tempête tropicale) et ainsi tester à fond la résistance de
notre plate-forme arboricole.
Fin septembre, nous avons plié le campement. Puis nous
avons trouvé un pêcheur qui, en échange de notre radeau et de quelques vivres,
nous a remontés jusqu’à Shintuya. Et de là, retour jusqu’à Cusco, et enfin
jusqu’à Lima (5 jours de transport pour sortir de la forêt entre le bateau,
bus… reposant!)
En conclusion, le projet a bien fonctionné. Nous nous
sommes accoutumés à la forêt. Les photos et les films ont été remis aux
responsables de la réserve communale Amarakaeri. La prochaine étape serait de
se déplacer avec un équipement plus léger pour pénétrer encore plus en
profondeur dans la forêt (un choix difficile quand tout le matériel a été utile
et nécessaire!) Pour cela, la descente du rio en radeau semble une solution
adéquate à ce type d’expédition…
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