Synthèse et dates clé de l'expédition
7 mars 2010 : Départ de Paris pour Yellowknife.
Courses et conditionnement des pulkas (20 jours d'autonomie).
Interview à Radio Taïga et tournage émission télé pour Radio Canada
13 mars : Départ de l'expédition sur le Lac Grace, proche de Yellowknife.
Progression sur le Grand Lac des Esclaves
19 mars: Jonction avec Dominique à Behchoko (Rae-Edzo).
Début de progression sur la “Ice Road” vers Gameti
Rencontres multiples avec les routiers et les autochtones (peuple Déné)
22 mars : Passage au “check-point” de la route de glace.
Les températures nocturnes descendent à -40°C
28 mars : Arrivée à Gameti et jonction avec Dominique (275 km parcourus)
Récupération du ravitaillement et conditionnement des pulkas (40 jours)
Rencontre avec Joe Zoe un chasseur Déné qui nous renseigne précisément sur l'itinéraire de la piste ancestrale entre Gameti et Kugluktuk.
30 mars : Départ de Gameti, températures élevées et neige abondante
Nous suivons la piste de chasse au caribou dont la saison a débutée.
4 avril : Arrivée sur le lac Hottah
Témoins d'une chasse en motoneige d'une dizaine de caribous
Début de la traversée du no man's land vers le Grand Lac de l'Ours, sur une piste traditionnelle abandonnée non répertoriée sur les cartes
9 avril : Arrivée à l'extrémité du lac Hottah sous chute de neige abondante.
10 avril : Début de progression dans le “bush”, c'est à dire dans la taïga. Nous taillons notre propre route en raquettes dans une neige profonde. Orientation délicate (boussole inopérante sur la région). Passage de la ligne de partage des eaux entre le Grand Lac de l'Ours et le Grand Lac des Esclaves. Météo agréable voire chaude pour la saison.
14 avril : Atteignons le Grand Lac de l'Ours après 5 jours dans la taïga. Léger retard rattrapable sur le planning, la grosse difficulté technique est derrière nous.
Progression le long de la rive est du lac.
17 avril : Camp le soir en face d'Echo Bay, vieille mine d'uranium abandonnée.
19 avril : Toujours sur le Grand Lac de l'Ours. Les températures se réchauffent à l'excès. La neige de surface commence à fondre.
21 avril : Arrivée en baie Hornby au nord du lac. C'est là que débute la piste ancestrale partant du lac pour monter sur la toundra et rejoindre Kugluktuk. Température toujours très chaude et fonte accélérée de la neige. Nous observons le manque de neige, la présence d'eau entre les touffes d'herbe, signe d'un dégel en cours.
22 avril : Progression très difficile par manque de neige.
25 avril : Montée en altitude (600 m) pour retrouver de la neige, progression sur la toundra
26 avril : Arrivée en vue de la vallée complètement déneigée du lac Le Roux que nous devrions longer (altitude 300m). Décision d'une récupération aérienne (une solution en motoneiges ou chenillette envisagée un moment n'est plus possible).
28 avril : Récupération par un hélicoptère qui nous dépose à Kugluktuk à 140 km. Il nous restait 10 jours d'expédition. 650 km parcourus au total.
Séjour à Kugluktuk, fêtes de printemps, conférence à la High School.
9 mai : Retour Yellowknife, conférence à l'Association franco-culturelle
15 mai : Retour Paris et au boulot...
Chroniques de l'expédition
Il s'agit d'une compilation chronologique de textes parus sur liberation.fr ou sur notre site
Le Départ
Franco-Ténois, anglophones, déné, un départ multi-culturel et chaleureux
Yellowknife, samedi 13 Mars : Une joyeuse troupe d'amis s'est donnée rendez vous à l'extrémité de la ville, au bord d'un petit lac nommé fort à propos le Lac Grâce. C'est de là que partent pistes de moto-neiges et de traîneaux à chiens, bref une autoroute de la forêt sub-boréale. A quelques kilomètres vers l'est, le chemin rejoint le Grand Lac des Esclaves et retrouve la trace ancestrale Déné jusqu'au Grand Lac de l'Ours. Le ciel d'azur annonce une nuit d'aurores boréales. Le “pop” du bouchon de la bonne bouteille de bordeaux est bientôt suivi du “click” des harnais.
Moment d'émotion. Premiers crissements des skis et des pulka sur la glace du lac recouverte d'une neige durcie par le gel nocturne. Céline, Pascal et Yann, les trois « piétons du Grand Nord » s'élancent sur les traces de Samuel Hearne. Devant eux, 800 km à la frontière des arbres avant d'atteindre la toundra arctique.
On the Road Again, version Taïga
La radio du 4x4 rouge diffuse de la country chantée en Tlich'o*. Le soleil de cette fin de journée illumine les chromes des camions géants des routes Nord-Américaines. Un panneau routier signale un risque de traversée de bisons. Parfois, les amortisseurs de la voiture -et les miens- souffrent au passage de sérieux dos d'ânes provoqués par l'effondrement du pergélisol. Il fait bon chaud dans l'habitacle, malgré les -16 ° à l'extérieur. L'inévitable pot de café allongé est bien calé près de l'accoudoir. Et moi, j'ai le cœur en fête. Nous venons de faire une première jonction avec l'équipe des trois “Piétons du Grand Nord”, juste à l'extrémité Nord du Grand lac des Esclaves. Mines réjouies, échanges d'informations météo, considérations gastronomiques sur les repas lyophilisés, livraisons de quelques équipements manquants, et un petit bout de chemin ensemble, eux à ski et moi à pieds pour passer le “portage”. C'est ainsi qu'on appelle, même en anglais, ces chemins de terre qui relient lacs ou cours d'eau, et où il faut “porter” les canoës en été. Nous arrivons ensemble sur les rives du Marian Lake. Quelques roseaux jaunis par le gel indiquent la limite entre terre et glace, incertaine sous le manteau de neige croûtée. Pascal, Céline et Yann suivent la piste traditionnelle devenue la “route d'hiver” des motoneiges entre Edzo et Rae, deux communautés Tlich'o réunies sous le nom de Behchokö - ce qui veut dire Grand Couteau.
Cette nuit, le thermomètre descendra à -32° et je frissonne en pensant à leur bivouac sous la tente. Un grand corbeau arctique froisse le silence. Je retourne sur mes traces, en saluant au passage quelques écureuils malicieux, et je reprends la route de Yellowknife.
* Tlich'o est l'une des 5 nations déné des territoires du Nord Ouest.
Tremblement de Glace
Oeuvre d'art éphémère sur la glace.
Le jour se lève à peine, des craquements impressionnants envahissent l'espace tout autour de la tente plantée au milieu d'un lac. A quelques encablures de la route d'hiver qui mène de Yellowknife à Gameti, nous apprenons plusieurs dizaines de secondes à l'avance le passage du camion citerne qui propulse devant lui une onde sonore transmise par la glace.
Voyager sur cette route n'est pas anodin. Encore moins à pieds ou en skis. On peut voir et entendre ce que les véhicules motorisés ne perçoivent pas. Les craquements de la glace fissurée précèdent les camions chargés de carburant - la route n'ouvre que trois mois par an pour ravitailler plusieurs villages isolés du territoire Tlich'o. Leur ballet commence au lever du jour pour se terminer au soleil couchant. Allongés sous la tente, en prise direct avec l'élément liquide solidifié par le froid, notre capacité de perception est décuplée. Il y a comme une musique dans ces grondements.
Le jour, en parcourant cette route de glace, nous nous enchantons à chaque foulée des fissures provoquées par le passage des poids lourds. Ici c'est le défaut naturel du matériau qui en fait la beauté. Qui aurait imaginé la contribution d'une citerne roulante à ces œuvres d'art éphémères ?
Jonction sur la Route de Glace
Quand le 4x4 de la logistique rencontre les "piétons".
- Les voilà, là !
- où ça, où ça???
- Tu vois trois petits points rouges ?
L'adrénaline monte d'un cran dans l'habitacle du 4x4. Pascaline, jeune voyageuse qui parcourt la planète depuis 5 ans, a été promue copilote pour l'occasion. Elle bondit sur l'appareil photo. Oui, ce sont bien eux, manifestement en superbe forme, hilares de nous voir les dépasser en un tel équipage.
Ils ont quelques 300 km dans les pieds, à traîner leurs pulka, et des émerveillements plein les yeux. La petite pause boisson chaude sur le bord de la route sera notre version Territoires du Nord-ouest du picnic au bord de la Nationale 7. Un truck passe, s'arrête, manifestement une connaissance. Sur la route de glace il existe un code de civilités. Nous entrons dans Gameti. C'est dimanche, les institutions communales sont fermées et nous envahissons “le” motel de cette petite communauté de 350 habitants, Dénés pour la plupart. Le lendemain, nous pourrons nous étaler tout à notre aise dans la grande salle communale, sympathiquement mise à notre disposition. Petits et grands, curieux de ces drôles d'attelages, nous offrent sourires et encouragements.
Nouvelles fraîches
Nous voici arrivés à Gameti, fin de notre 1ère étape, après 16 jours de progression pour 273 km. Nous aurons rencontré trois types de terrain : le chemin de moto-neige depuis la sortie de Yellowknife jusqu'au Grand Lac des Esclaves, puis à faire notre trace sur le lac presque jusqu'à Behchoko, enfin la fameuse Ice Road : 200 km à travers les lacs ou les collines boisées d'épinettes et de bouleaux de la taïga. La “route de glace” est empruntée par les voitures et les motoneiges, mais aussi par de nombreux camions qui approvisionnent pour le reste de l'année les trois communautés isolées du territoire Tlich'o, dont Gameti.
Nous sommes vraiment l'attraction locale tout au long du chemin. Beaucoup s'arrêtent et nous questionnent, tous sans exception nous saluent. Certains deviennent des connaissances, parfois nous offrent un morceau de bison séché ou un café chaud. L'accueil est partout curieux et chaleureux.
Hélas peu de rencontres animales : les pulkas crissant sur la glace sont trop bruyantes ! Tout de même de belles traces fraîches de loups, de renards ou d'écureuils, pas mal de passages de Grands Corbeaux et de pies grièches grises, et une visite matinale d'une belle Tétra du Canada. Nous avons eu quelques jours de bons gros froids, environ - 35°C la nuit; en journée le soleil nous réchauffe et heureusement le vent excède rarement les 30 km/h. J'ai vite appris à préchauffer la prochaine paire de gants à utiliser ! De même que le moindre tube de pommade ou de dentifrice est à décongeler à l'avance entre les couches d'habits. Nous sommes tous en forme, et nos visages ont pris de belles couleurs avec la marque des lunettes.
Hier soir nous avons pris une douche et lavé nos chaussettes et nos culottes, tout va bien ! Départ demain pour la 2ème partie, plus sauvage, sûrement plus difficile aussi car le terrain sera moins balisé et les pulka plus chargées.
Prochaine douche dans 40 jours ...
Le guide de Gameti
Joe Zoe vient à notre rencontre. Nous devions rencontrer ce chasseur réputé pour sa profonde connaissance de la trace traditionnelle qui mène jusqu'au Grand Lac de L'ours. Joe nous invite à venir parler dans sa maison. Nous sommes à Gameti, l'une des quatre communautés Tlich'o.
Joe Zoe a été l'un des acteurs d'un raid à moto neige en 2008, organisé par les déné Tlich'o de Bechoko, les déné Shatu de Deliné, et les innuinnait de Kugluktuk. Le raid a relié Behchoko à Kugluktuk, très exactement la trace de notre expédition! Sur la table, au milieu des cartes, une liasse de photos témoigne de l'évènement. Tout est préparé pour une séance de cartographie. Patiemment, l'homme nous livre son savoir. Il indique les meilleurs passages, les zones à éviter, les emplacements de cabanes qui peuvent être bien utiles en cas de grosse fatigue ou de tempête. Pascal décide alors de changer l'itinéraire initialement prévu, pour suivre les recommandations de Joe Zoe. Mais il nous manque deux cartes au 1/250.000e. Les cartes numériques sont sur l'ordinateur de l'expédition, mais en progression rien de vaut les bonnes vieilles cartes papier. Qu'à cela ne tienne: Joe Zoe nous donne ces deux cartes. Une tête de caribou gît sur le sol de la cuisine, en attendant probablement de finir en excellent bouillon. Joe Zoe se lève et nous donne un gros morceau de caribou finement découpé et séché par sa femme, aliment énergétique par excellence.
Ce moment restera pour nous emblématique de notre expédition : découvrir un territoire au fil des rencontres avec ceux qui en possèdent le savoir ancestral.
Sur le Grand Lac de l'Ours. A pieds...
Lieu symbole de notre expédition, le Grand Lac de l'Ours, traversé par le cercle polaire arctique, sépare la taïga du sud de la toundra du nord. Lorsque les inuit de Kugluktuk rencontrent les dénés de Gameti, la jonction s'effectue sur le lac. Car chaque peuple ne connait que la route qui part de son village au lac.
En 1968 en traîneau à chiens, il fallait une quinzaine de jours pour relier Kugluktuk à la baie Hornby au nord-est du lac. En motoneige il faut moins d'une journée pour parcourir les 180 km. Mais la piste ancestrale se perd car les chasseurs et pêcheurs ne se déplacent plus aussi loin de chez eux. Le Grand Lac de l'Ours est devenu un no man's land que nous traversons avec émotion, suivant une route indiquée vaguement sur la carte à l'étape de Gameti.
D'îles en îles, du sud au nord, nous découvrons des paysages chaque jour différents. A Echo Bay, la présence de la vieille mine d'uranium abandonnée est révélée par une balise sur un rocher. Parfois une tempête aussi brutale qu'éphémère nous rappelle à l'ordre : nous sommes en Arctique. Un loup solitaire croise prudemment notre route sur la glace enneigée. Quelques oies isolées nous survolent, appelant leurs congénères à les suivre dans leur migration vers le nord.
Le printemps arrive. Trop vite.
Dégel précoce dans la toundra.
Ca dégèle... après une nuit supérieure à 0°C...
Depuis quelques jours déjà nous avions un pressentiment. La température est bien trop élevée, y compris la nuit. Nos craintes se confirment en approchant de la baie Hornby qui ouvre la piste ancestrale vers Kugluktuk à travers la toundra. Le dégel a débuté et la neige fond à vue d'œil. La toundra est brune parsemée de taches blanches.
Nous faisons un pari : le Grand lac de l'Ours est à 150 m d'altitude et la piste traditionnelle reste aux alentours de 300 m. Tandis que tout autour les collines et les plateaux grimpent plus haut en restant accessibles. Et de loin on distingue du blanc à leur sommet...
L'espoir que les vallées du nord seront plus enneigées nous anime. L'ascension des collines s'avère difficile, avec nos skis arrimés sur les pulkas. Au moins nous avons le plaisir de manger quelques myrtilles de l'an dernier conservées par le gel. Vers 500 m d'altitude nous trouvons une neige qui nous permet de reprendre confiance. Pendant 3 jours.
Arrivés en vue du lac Le Roux, nos observations nous enlèvent tout espoir d'atteindre à Kugluktuk à pieds. Les vallées sont brunes, les lacs et les rivières parsemés de trous d'eau. Avec plus d'un mois d'avance nous diront les chasseurs inuit de Kugluktuk finalement rejoint en hélicoptère. Le survol de la toundra en plein dégel nous offre alors une fantastique fin de l'aventure commencée deux mois plus tôt.
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