Bourses Exp 1995 Nathalie Cuche, |
Le Sahara en VTT
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Au dbut, cĠtait
comme un dfi : le Sahara, rve de tous les apprentis aventuriers. Notre trajet
tait fix, ce serait ÒMarrakech-TombouctouÓ. Nous nĠtions jamais alls
en Afrique. Nous imaginions seulement toutes les difficults que nous pourrions
y rencontrer : vent, chaleur, sable, frontires secoues par les
insurrections tantt du Polisario, tantt des Touaregs...
Notre imagination
nĠavait pas exagr : le vent a balay notre visage pendant toute la traverse
de la Mauritanie, la chaleur a culmin 55 ĦC, tandis que le sable un peu trop mou et la
politique un peu trop dure nous ont empchs de parvenir Tombouctou..
Pour tout vous avouer, notre "Marrakech-TombouctouÓ sĠest transform en El
Aiun - Bamako, ce qui fait nettement moins explorateur...
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EN CHIFFRES
45 jours de voyage
4 pays traverss
3 langues parles (hassani, sarahoui, bambara)
2600 km vlo
1000 km en taxi marocain
400 km en convoi militaire
1400 km en train Bamako-Dakar
40 nuits dans le dsert
1 nuit lĠhtel
7 kg de riz aval
1kg de mil
1 tte de chvre
1 poisson-chat
90 ths mauritaniens
600 litres dĠeau
3 jours de fivre
43 crevaisons sur un vlo
o crevaison sur lĠautre
7 kg perdus deux
0 coup do soleil
0 vol et agression
40 kg de bagage
20 kg dĠeau en portage
10 jours sans douche
55ĦC de temprature maximum
42ĦC de temprature moyenne
2500 euros de budget total
900 diapos
2 passages tl
2 coyotes du dsert rencontrs
4 camlons
1 gimlit (souris du dsert)
2 serpents-minute
2 araignes translucides
1 000 scarabes des sables
X chameaux
X dunes
100 baobabs
56 contrles policiers et gendarmerie royale
1 fouille douanire
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Le Sud-Maroc nous
acclimate lĠAfrique avec ses cinq cents kilomtres de paysages sublimes
jusquĠ la frontire mauritanienne, sur une piste dfonce et sous un
soleil qui ne tape jamais plus de 42ĦC. Les vraies difficults sĠannonceront
plus tard...
La frontire
mauritanienne. Nous sommes coincs par les militaires qui nous interdisent de
pdaler jusquĠ Nouadhibou. Le seul moyen pour poursuivre notre rve reste
d'emprunter un convoi militaire sous bonne escorte, accompagns dĠautres
candidats au transit. La rgion n'est pas sre. D'ailleurs, c'est ici que, deux
mois plus tard, un camion du Paris-Dakar sautera sur les mines poses par le
Polisario, qui revendique lĠindpendance du Sahara Occidental.
Ce matin, le convoi
sĠbranle pour la enime fois aprs un ixime contrle. Voil deux jours que
nous sommes en plein dsert, nos vlos accrochs sur le 4x4 de (futurs) copains
franais rencontrs sur place. Rgulirement,
nous nous arrtons, les militaires font leur prire, puis on repart. Il en sera
ainsi jusquĠ Nouadhihou...
Comme dans les albums
de Tintin
La Mauritanie est un vaste
dsert. Les neuf diximes du pays sont vous au nomadisme mme si on assiste
une vague de sdentarisation, lĠconomie mauritanienne repose sur
lĠlevage de chameaux, de chvres et de gnous, la vache du dsert, un peu
de pche sur la cte Atlantique et rien dĠautre. Mme le commerce est rduit au
minimum, quant lĠindustrie de minerais, elle est en dclin. Nouadhihou
en est la capitale conomique. Les quelques heures que nous y passons sont
consacrs refaire un bon plein de provisions.
En effet, nous devons
traverser 480 kilomtres de dsert pour atteindre la capitale, Nouakchott.
Soit 300 kilomtre sur une piste mi-sableuse, mi-dure, qui peut changer, voire
sĠeffacer au gr du vent, puis 180 kilomtres le long de lĠAtlantique, sur une
piste inondable par les mares...
Pas forcment facile, mais
nous nous sentons au meilleur de notre forme et rien ne nous effraie, pas mme
la chaleur qui augmente, pouratteindre rgulirement depuis notre
arrive en Mauritanie les 45ĦC.
Le moment tant attendu
arrive enfin. Devant les roues de nos VTT, le vrai Sahara, celui du sable
perte de vue, des dunes, des pistes effaces par le vent, des mirages comme
dans Tintin.
Par contre, en raison de
la chaleur intense et de la rapidit laquelle on se dshydrate dans cette
rgion du globe, nous ralisons quĠil faudra renoncer quelques jours notre
autonomie. Les 300 premiers kilomtres impliqueraient dĠemmener plus de 60
litres dĠeau, ce qui est impossible porter sur nos vlos.
Sympas, nos amis franais
nous proposent de transporter nos affaires et nos rserves dĠeau, ils nous
attendront tous les 50 kms. On ne plaisante pas avec le dsert ! Le matin, nous
partons tt, il est souvent presque impossible de pdaler tant le sol est mou.
Nous poussons, pdalons, nous enfonons et la chaleur monte...
Le troisime jour, nous
manquons nous perdre quatre fois d'affile. Le vent de sable sĠest lev midi,
effaant la piste. Nous nous guidons la boussole. Vers 16 heures, reints,
nous retrouvons enfin nos amis. Nous n'avons pdal que 47 km... sans bagages !
Le thermomtre de la voiture indique 55Ħ C. Nous comprenons que continuer ainsi serait pure folie - en
tout cas au-dessus de nos forces. Nos vlos sont embarqus sur le 4 x 4. La
galre change de camp : nous avalons les kilomtres avec du sable : poussage,
dsensablement... jusquĠ la nuit. Nous continuons avec
eux jusquĠ lĠAtlantique, o nous attendent les l80 kilomtres de piste-plage.
L au moins nous ne devrions pas nous garer !
Dauphins
rabatteursÉ
Ce matin, nous quittons
nos anges gardiens, tristes et un brin angoisss. Notre piste littorale se
trouve dans le parc national du Banc dĠArguin, clbre pour ses pcheurs
Imragen qui bnficient priodiquement de lĠaide des dauphins de la baie.
Il sĠy trouve aussi des espces trs rares dĠoiseaux et de phoques. Les dunes
vierges se jettent dans lĠocan. Ici il nĠy a plus que la mer, le vent et le
sable.
La plage est ÒroulableÓ,
mais le vent contraire et la piste mouille ncessitent un effort soutenu.
Rassurs par la prsence frache de la mer, nous commenons acclrer le
rythme. Tout semble merveilleux. Ë 2 heures de lĠaprs midi, l'impression
bascule. Avec 50 ĦC, sans une goutte dĠombre o sĠabriter, et le sel qui nous
brle la peau, la place devient un four implacable.
Puis la mare monte, nous
forant nous rfugier dans les dunes. Alors quĠun commando de gros crabes
vient finir notre potage aux huit lgumes, il nous faut attendre la nuit pour
pdaler mare basse et la frache.
Le lendemain matin, nous
ressemblons des zombies et nous n'avons aval que 50 kilomtres en une
journe et une nuit. Une bonne nouvelle nĠarrive jamais seule : le vent se lve
et nous nĠy voyons plus 15 mtres. Difficile dĠavancer tant le souffle est
puissant... et nulle part o sĠabriter de ce sable qui vous cingle lĠpiderme.
Quand nous traversons les villages de pcheurs, tout le monde accourt. On
nous donne de lĠeau frache, on nous abrite du vent pour un court rpit, puis
nous repartons. Il en sera ainsi jusquĠ Nouakchott.
Enfin presque, puisqu'
quelques kilomtres de la ville, extnus, nous craquons pour un camion !
Nous ne sommes pas seus dans la benne ! Quinze passagers, mais aussi une
voiture, des poissons et des barres de fer. Le sable vole, quelques-uns tentent
de se rfugier dans lĠauto, mais les secousses sont si fortes quĠils sont
obligs d'en ressortir et affronter la tempte. Un enfant se protge du vent
avec la jupe de sa petite sÏur, un autre sĠaccroche sur les montants en
rigolant... CĠest ainsi que nous arrivons Nouakchott, la capitale. Tout le
monde descend du camion avec de vritables crotes de sable dans les yeux.
Presque mille kilomtres
parcourus, il nous en reste deux mille. Nous reparlerons aprs une bonne douche
et la recherche de provisions. Je dis ÒrechercheÓ car on ne peut trouver
grande chose, soit des produits franais hors de prix, soit des aliments locaux
trs peu varis. Une journe de repos au bord de lĠocan, et nous voici
dĠattaque pour la suite des rjouissances.
Depuis Nouakchott, une route plonge dans le ventre chaud
du dsert. Construite il y a trois ans par les Franais, elle sĠengouffre plein
est pour dsenclaver ce pays dont le sable recouvre 90 % de la superficie.
C'est la seule voie de communication travers toute la Mauritanie et nous
la surnommions le Ç fil du tlphone arabe È, parce que, de temps en
temps, des villageois nous disaient : Ç Mon frre vous a vu lundi dernier,
vous tiez Ouad Naga. È Parfois cĠtaient des camions taxis-brousse qui
avaient entendu parler de nous ou nous avaient dj vus, dĠautres fois, des
chefs de village, des commerants...
Dire que les Mauritaniens soient accueillants serait un
plonasme. DĠabord parce que l'accueil de l'tranger est un prcepte crit dans
le Coran, ensuite parce que les distractions sont rares dans ces contres. Nous
tions une source inpuisable de curiosit et dĠamusement. Les femmes couraient
derrire nous sur la route avec de grands cris pour nous faire rester dans
leurs campements, les enfants nous suivaient parfois sur 10 kilomtres en
courant pieds nus la mme vitesse que nous.
Lorsque nous restions, tous sĠasseyaient autour de nous,
nous regardaient en riant, en commentant ; chacun de nos gestes tait
pi. Nous tions leur disposition pour tenter d'assoiffer leur curiosit,
ils nous posaient cent mille questions, les uns aprs les autres, questions qui
taient toujours centres sur la famille : avions-nous des enfants, depuis
combien de temps tions-nous tions maris ? Ensuite c'tait notre tour de
poser les questions. Ces palabres duraient des heures, arroses des trois ths
bienfaiteurs qui nous ressouraient. Le premier sucr comme l'amour, le second
doux comme la vie et le dernier amer comme la mort. Nous avons parfois d fuir
cet accueil, car nous ne pouvions pas nous reposer et nous tombions
systmatiquement malades lorsque nous partagions leur repas : riz la
graisse de chvre, lait de chamelle, tte de chvre. Il nous est arriv de
pdaler deux fois plus vite lorsque les femmes des campements nous appelaient
en courant. Nous en avions honte, mais si nous nous arrtions chaque fois,
nous ne pouvions plus avancer. Alors nous faisions des grands coucous et
disparaissions derrire une duneÉ
Bourrs de vitamines, le
moral au beau fixe et le vent dans le dos, nous traons tte baisse direction
Tombouctou, via un dsert de dunes. Gaillardement, nous parcourons les
premiers temps en moyenne 80 kilomtres par jour. Progressivement la piste
devient trs mauvaise, nos rayons cassent. Responsable, le poids de lĠeau que
nous emmenons chaque jour (15 litres chacun et parfois plus sur le vlo
dĠEric). Les porte-bagages commencent fatiguer. Principal souci, nous
quittons les dunes pour aborder un dsert dĠpineux dont Eric se souviendra
longtemps. 43 crevaisons pour son seul vloÉ Sur mon vlo, jĠavais en effet choisi de remonter mes vieux pneus
renfort kevlar pour ce raid africain. Ils nĠont pas laiss pntrer une seule
pine ! Prvoyante, la fille !
Nos journes sont donc rythmes
par les pauses crevaison dĠEric, souvent en plein soleil, parfois dans des
villages dont tous les habitants viennent nous observer en riant :
"Ah mais ! Ils sont fous ces blancs ! Non mais vous n'tes pas
bien dans votre tte, lÉ Jamais, un Mauritanien ne ferait 10 kilomtres avec
cette machineÓ.
Pendant ce temps, le vent
redouble dĠintensit. Parfois, il rend fou, dĠautres fois on sĠen accommode,
mais le soir il nous faut manger du riz au sable, et a, cĠest le plus dur.
Lorsque la nuit est vraiment trop noire pour continuer jusquĠ un village
ou un campement de nomades, nous plantons la tente en plein dsert. Jusqu'
minuit, il fait 30ĦC, nous sommes tremps comme des serpillires sous cette
tente mal ventile. Difficile dans ces conditions de trouver le sommeil avant
une ou deux heures du matin.
Nous arrivons enfin
Kiffa, un gros village o nous pensons pouvoir trouver une douche, un
htel et des rserves. Voil 10 jours que nous ne nous sommes pas lavs. Nous
dnichons lĠunique htel avec lectricit et eau courante... Vite, sous la
douche... Pas dĠeau !! Ç Il faut attendre È nous rpond le patron. Au bout
dĠune demi-heure, un grand costaud arrive en courant, un baquet rempli dĠeau
sur la tte... CĠtait lui, lĠeau courante!
Au cours des 500
kilomtres qui nous sparent de Nma, la dernire ville Mauritanienne, la piste
devient de plus en plus impraticable : sablonneuseÉ et militarise. Nous
commenons douter srieusement de jamais atteindre Tombouctou...
Quelques jours plus tard, nous atteignons la frontire malienne. Cap au sud
pour rejoindre Bamako, la capitale.
Bni soit qui Mali
pense
La piste en latrite est
dĠun rouge sublime. Nous roulons sur de la tle ondule, des mini-montagnes
russes qui vous secouent dans tous les sens. Aucun assemblage crou-boulon ne
rsiste bien longtemps ce traitement, les porte-bagages en particulier.
Pour limiter les dgts, mieux vaut essayer de rouler fond la caisse.., et le
soir venu, resserrer tout ce qui passe porte de cls.
Ici au Mali, trouver
manger ne pose pas de problme. Les gens sont plus gais, plus accueillants
encore quĠen Mauritanie. Ils dansent et chantent au milieu des villages. Pour
nous cĠest la fte.
Un soir, je me sens un peu
"patraqueÓ, la fivre monte jusquĠ 40ĦC. Malade en pleine brousse...
Toute la journe du lendemain, nous continuons pdaler. JĠai vraiment
les jambes en coton, mais par miracle elles pdalent toutes seules ! En soire,
nous rejoignons un petit village et l je mĠeffondre, terrasse par la
fivre, avec un mal au ventre qui me plie en deux, dont sont responsables lĠeau
des puits et la nourriture. videmment, nous traitions lĠeau avec des
Micropurs, cachets qui purifient lĠeau en une heure, ou avec notre filtre
mcanique. Mais lorsque les tempratures ont commenc grimper jusquĠ 56Ħ C,
nous ne pouvions plus traiter toute lĠeau que nous buvions. Tous les gens du
village, adorables, viennent nous voir et me soignent au moyen de remdes
locaux. Tous nous dconseillent vivement de tenter dĠatteindre Tombouctou
: toute cette zone est sous surveillance et bien que la ville soit calme, ce
sont les pistes dĠaccs qui sont alatoires, voire dangereuses.
Quatre jours pour me
remettre sur pieds, je connais par cÏur le moindre centimtre carr des
toilettes et tous ses habitants rguliers, de jolis cafards qui servent faire
des courses endiables par tous les enfants du village. Nous coutons le chef
du village, et dcidons de laisser Tombouctou pour une autre fois, nous
repartons, comme neufs, direction Bamako. Nous montons une dernire
colline et soudain toute la valle apparat avec en son centre le fleuve Niger
qui ondule comme un gros serpent.
Bamako marque la fin de ce
raid. Mme si nous nĠavons pas atteint notre objectif, nous sommes fiers comme
deux bars-tabacs dĠavoir vaincu un petit bout de Sahara. Maintenant, il
nous reste rejoindre Dakar, par le train ÒBamako-DakarÓ... Quant
Tombouctou, rassurez-vous ce nĠest que partie remise !
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