Alpinisme au pays des Kurdes
TURQUIE - juillet-août 2011
Barbara et Thomas jouent les équilibristes devant les sommets de l'Elsan, du Suppa Durek et de Mirhamza. Photo Alex
Barbara Satre,
30 ans, alpiniste, Marseille
Thomas Gurviez,
35 ans, alpiniste, Marseille
Alex Darrioulat,
24 ans, alpiniste, Grenoble
Des parois rocheuses de près de mille mètres de haut, ceinturées de glaciers, un no man’s land de l’alpinisme depuis la dernière expédition il y a 40 ans, pas de cartes ni de topos… Non, ce n’est pas la dernière Cordillère Cachée de Chilivie ou le sommet de l’Annapurjus, mais le massif du Cilo Sat dans le Sud-Est turc, à seulement 4100 m d'altitude. Les rares photos entrevues dans de vieilles brochures de l’office du tourisme Turc ou sur Internet laissent deviner un splendide terrain d’aventures pour le trekkeur, grimpeur ou alpiniste mais le conflit entre l’armée turque et la rébellion kurde du PKK a préservé le mystère de ces montagnes en terre d’Islam.
L’expédition de Bernard Amy en 1969, décrite et illustrée dans le beau récit « la montagne des autres », nous donnera l’eau à la bouche et des fourmis dans les mollets. Les montagnes du Çilo et du Sat vues de Google Earth s’avéreront en tout cas moins opaques que l’administration turque le voudrait, et joints aux photos satellites, les photos et croquis permettront de dégager la structure générale du massif et repérer des traversées et ascensions envisageables.
Une fois l’équipe rassemblée et les dates fixées, préparer l’expédition a consisté non pas à recevoir et payer un permis de sommet pour un sommet bien défini comme c’est souvent le cas en Himalaya mais plutôt à connaître les conditions d’accès à ces montagnes situées prés des frontières irakiennes et iranienne où les guérilleros du PKK et l’armée Turque s’observent et parfois se confrontent. Les démarches entreprises auprès des consulats et ambassades turques en France ne donneront rien sinon des avertissements alarmistes alors que les contacts noués par téléphone avec les autorités locales de Hakkâri d’abord refrénés par les difficultés de compréhension dans cette région, finiront par butter sur l’inaptitude de nos interlocuteurs à nous répondre. Nous étions pourtant remontés jusqu’au gouverneur d’Hakkari sans recevoir de réponse claire et objective. Tant pis, notre expédition ne dépendra pas du bon vouloir d’un bureaucrate d’Ankara et décision est prise de résister aux diktats Ottomans et de réserver les billets.
Kurdes à la traite du bétail ; au fond le Resko (4135m), point culminant du Cilo Dag. Photo Alex
Dans le cirque Ouest du Resko.. Photo Alex
Filaments de troupeau sur les alpages au soleil couchant. Photo Thomas
Après ces mois de palabres et de rêves éveillés devant les photos satellite il nous tarde de fouler les pelouses et glaciers du Çilo et du Sat, et cette Terre Promise proche-orientale de l’alpinisme commence enfin à se rapprocher lorsque nous entrons le 25 juillet dans le fuselage de l’avion qui nous mène d’Istanbul à Van. Vue du ciel, la Turquie se résume à l'interminable haut-plateau Anatolien, de plus en plus aride et dépeuplé à mesure que l'on s'éloigne de la métropole d'Istanbul et se rapproche des confins orientaux du pays. Les steppes jaunes laissent parfois place au lointain cône enneigé du volcan Ercyies Dagi qui domine les églises troglodytes de Cappadoce et à quelques montagnes parfois vertes sur leurs versants nord. Le lac de Van, véritable mer intérieure du sud-est turc, apparaît comme un mirage après ces centaines de kilomètres desséchées. L'avion commence à piquer du nez au-dessus du lac comme pour se rafraîchir après ses 2 heures de traversée anatolienne, sans que les brumes de chaleur et de poussière de l'est Turc ne laissent distinguer les massifs du Çilo et du Sat au sud-est ou l'Ararat au nord.
Van, ville moderne et sans âme poussée au bord du lac mais curieusement beaucoup plus tournée vers les steppes à moutons de l'intérieur que vers la Grande Bleue du lac, fait penser aux villes de pionniers de l'ouest Américain. Dans cette Turquie orientale qui relève plus du Far East que du Far West, les troupeaux de moutons remplacent les buffalos et les Kurdes les peaux rouges, alors que les véhicules blindés de l'armée turque dégagent autant de poussière qu'un régiment de cavalerie yankee pendant la charge... Dans cette ville perdue au cœur des steppes de l'est Turc (ne pas dire Kurdistan sous peine de subir les foudres de votre interlocuteur non kurde) l'influence ottomane ne se limite pas aux soldats en treillis paradant sous le drapeau de croissant et d'étoile mais se ressent également dans les portraits d'Atatürk (littéralement le père de tous les turcs) qui jalonnent toute la ville. Il semblerait que seul son regard sévère puisse calmer les ardeurs séparatistes des kurdes presque aussi présents qu’Atatürk, les cuistots des « döner kebab salon » exposent derrière leurs vitrines leurs bras luisants et leurs sabres.
Par contre et à l'inverse de ce qu'un visage pâle juste débarqué de sa lointaine Europe, où le Kurdistan fait figure de PKK-istan peuplé de rebelles moustachus et de djihadistes en entraînement, pourrait imaginer, la vie se révèle étonnamment douce et paisible malgré une présence militaire toujours palpable. Les couples flirtent dans la rue main dans la main, les voiles se font bigarrés voire absents. Il faut tendre l’oreille pour entendre le muezzin à la voix douce qui doit craindre de réveiller Atatürk, et apercevoir les montagnes pelées et rocailleuses pour réaliser que nous n'avons pas atterri dans le quartier le plus occidentalisé d'Istanbul mais à la dernière frontière de l'Empire Ottoman, à quelques heures de Dolmus (le mini-bus local) de la frontière perse et du pays des mollahs, déjà presque en Asie centrale...
4 heures de Dolmus nous emmènent à travers des vallées fertiles et montagnes désertiques vers Hakkari, à l'extrémité sud-est de la Turquie, loin et même très loin du gouvernement d'Ankara. A l’approche de la frontière irakienne le kaki devient par endroits la couleur dominante, en accord avec le gris des casernements et des forts qui ceinturent et surveillent la capitale kurde de l’extrême sud-est. Cette ambiance de ville de fond de vallée cernée de forts n’est pas sans rappeler Briançon, même si le Buzzati du « désert des tartares » est ici plus à invoquer que Vauban. La vie kurde suit son cours malgré la police qui patrouille en véhicules blindés et la présence de bâtiments visiblement récemment détruits: les rues fourmillent, les salons de thé sont comblés de joueurs de go et les pâtisseries débordent de pièges sucrés à montagnards. Ces mêmes qui arpentent la ville pour constituer leurs provisions sous les regards d’abord étonnés puis bienveillants des autochtones.
Fleurs devant la face nord-ouest du Kackar Dagi bis. Photo Thomas
Les kurdes d’Hakkari feront ainsi preuve d'une gentillesse et d’une disponibilité sans pareil pour essayer de nous comprendre et de comprendre notre projet. Chose très ambitieuse si l’on sait que nous n’avions pas de langage commun. Peu de kurdes parlent l’anglais et notre seul outil de communication demeura un minuscule dictionnaire anglais-turc. Les kurdes prenaient malgré tout un temps considérable et dégageaient une énergie charitable pour nous trouver la solution. Par exemple Il arrivait très souvent que plutôt de nous faire comprendre qu’elle ne parlait pas anglais, la personne à qui nous nous adressions tire un portable de sa poche et « appelle un ami » parlant anglais pour que ce dernier joue le traducteur.
Depuis que nous avons posé les pieds dans l’Est turc, nous nous employons à démêler les questions de l’accès au massif. A Van, d’abord, où le conseiller de l’agence de tourisme dans laquelle nous nous renseignons découvre les montagnes du Çilo et du Sat avec la brochure que nous lui tendons, et ce dernier ne verra pas de contre-indications, en tout cas il n’a pas d’information sur le sujet. Puis à Hakkari, où nous poursuivrons l’enquête à la mairie. On nous avait installé dans un grand bureau au centre de la bâtisse à l’étage où on nous abreuvait continuellement de thé. Le thé c’est la poignée de main, plus qu’un facilitateur d’échange, une marque de politesse incontournable. Nous passons ainsi de nombreuses heures à expliquer notre projet à divers interlocuteurs liés de près ou de loin voire de très loin aux activités communales (la mairie c’est une peu le café du village). On en apprend beaucoup sur la serviabilité des kurdes, sans limite, mais peu sur l’accessibilité au massif. Une énième tasse de thé à la main, un stylo dans l’autre nous dessinons, nous mimions des situations de grimpeurs, désignons les sommets sur notre ancienne brochure d’alpinisme turc, notre carte au trésor. Nos vocalises variées dans la prononciation des noms figurant sur la brochure resteront vaines face aux mines intriguées de l’assemblée. A notre décharge toutes les cartes se voient affublées d’un étonnant mélange de Turc et de Kurde. On espére simplement ne froisser aucune sensibilité en répétant à l’infini les noms de villages et sommets. Turcophones ou kurdophones se disputent la paternité des toponymes. On se croit sur une route de Corse, à tenter de lire sur un panneau un Asco défiguré par les impacts de plombs sous lequel un Ascu a été gribouillé au marqueur. Difficile en tout cas de savoir si tel toponyme relève du Turc d’Ataturk ou du Kurde local : Malgré tout on s’organise autour de nous et finalement une personne parlant anglais arrive : Polat, un jeune étudiant de retour dans sa région d'origine Hakkari pour les vacances. Non seulement Polat parlait très bien l’anglais mais comprenait aussi notre projet. Tout s’éclaire : pas de d’interdiction connue, alors on tente de s’y rendre.
En dépit des avertissements solennels proférés à propos de nos futures nuits sous tente à 2500 m (« vous allez mourir congelés »), nous trouvons un valeureux chauffeur de taxi prêt à emmener ces touristes inconscients là où la température nocturne frise les 15°C ! On apprend par la même occasion que le trek d’accès de plusieurs jours que décrit Bernard Amy dans son récit a perdu sa raison d’être, puisque le camp de Mergan situé au pied des parois du Çilo peut maintenant s’accéder par une longue route (difficilement) carrossable. L’alpiniste paresseux qui sommeille en chacun de nous ne peut que regretter officiellement que l’accès soit désormais aussi facile, mais il se réjouit intérieurement de ne pas avoir à jouer le cheval de bât et de pouvoir emporter autant de provisions que son appétit et le coffre de la vénérable Peugeot 405 le permettront.
Nous partons sur la route de Van, après quelques kilomètres de la sortie de la ville, nous entrons dans le village kurde de Kirig Dag.
Les bergères kurdes reconnaissent l'une des leurs dans le livre de Bernard Amy, instant fort.
Mergan, vallée verdoyante zébrée d’un torrent dominé en son fond par le majestueux Resko, cette imposante et sinistre dent noire drape d’arrêtes déchiquetées qui accroche le regard. Mais nous découvrons rapidement que Mergan prénomme avant tout le camp de bergers kurdes et leurs troupeaux qui investissent les lieux…exactement comme le décrivait Bernard Amy dans le récit de son expédition de 1968. Des petites huttes faites de empilement de tissus aux couleurs vives bordent le bord gauche de la rivière. Les bergères tout en continuant leurs occupations, nous jettent des regards furtifs sous leurs fichus bariolés. Polat leur explique brièvement notre souhait de séjourner quelques temps dans la vallée. Les visages s’éclairent : nous sommes bienvenus.
En descendant le glacier du Suppa Durek, sous le Gol Dag.
La présence d’une femme dans l’équipe a semblé rassurer : en effet la gente masculine travaille en vallée ou en tant que berger, les femmes restent au camp pour la production du lait et la fabrication du fromage. Ainsi les personnes au camp de Mergan sont à 80% des femmes. Les rôles des hommes et des femmes dans cette communauté qui fonctionne sur un mode encore assez traditionnel semblent bien cloisonnés.
Alors que les enfants s’étonnent de nos pointes de 12 et autres piolets, Barbara est invitée à la traite des bêtes tandis que Thomas et Alex font parler leurs mains avec les bergers. La traite deviendra quasiment notre rendez-vous quotidien avec les kurdes, non pas que la taille du troupeau nécessite une paire de mains supplémentaire, non, les trois ridicules millilitres au fond de son seau en témoignent. Cette invitation à prendre part à une activité du camp est plus un prétexte à la rencontre.
Nous serons régulièrement invités à prendre part à des instants de leur quotidien. Après quelques démonstrations de danse au son des transistors d'un autre temps, les kurdes redescendent dans leur minibus. En effet, à l’époque de Bernard Amy ils devaient séjourner tout l’été en altitude et redescendre à la saison froide à Kirig Dag. La modernité a percé à Mergan aussi, et c'est en minibus qu'ils montent chaque jour s'occuper des bêtes comme ils iraient au bureau. Seuls les bergers, véritables vigiles restent la nuit pour veiller sur le troupeau.
Mais il est temps d’installer notre camp : nous élisons domicile quelques centaines de mètres au-dessus du camp kurde, au bord du torrent sur un tapis d’herbes odorantes, à environ 2400 m et sous les sommets du Çilo qui frisent ou dépassent les 4000 m. Ce camp qui nous servira de camp de base pour nos ascensions à la journée se trouve doté de tout le confort moderne : eau courante au niveau d'une source claire située à 200 mètres des tentes, douche et machine à laver dans le torrent glaciaire qui roule des eaux revigorantes et primeur dans les champs de menthe sauvage à 50 mètres. Rendez-vous est pris avec notre chauffeur pour la semaine suivante, même si son expression peinée en dit long sur sa croyance en notre capacité à survivre en environnement aussi polaire !
Notre campement dans la vallée de Merghan. Photo Barbara Sartre.
Notre première journée d’alpinisme commence en fanfare à 4 h le 28 juillet, pas seulement avec le téléphone portable qui nous fait regretter la chaleur du duvet mais surtout avec notre première journée d’alpinisme dans le massif. L’objectif est de trouver un point de faiblesse sur la crête sommitale du massif à gauche ou à droite du Resko. Ces percées devraient nous permettre d’explorer soit les deux bassins glaciaires du massif autour de l’Elsan ou bien les vallées sud du massif.
Encore ensommeillés et lestés comme une Peugeot Kurde de notre quincaillerie nous remontons la vallée glaciaire du Resko sur un semblant de sentier marqué du passage des troupeaux, le long du torrent de fonte. Bercés par le murmure du torrent de fonte et veillés par les immenses parois rosissant aux premiers rayons. Le soleil qui nous atteint au lac glaciaire achève de nous réveiller: les taches de couleurs des fleurs piquetant les rives du lac répondent aux stries blanches et grises des séracs qui s’effondrent dans le lac, sous les parois immuables du Resko et du Duvar Tepe. Les appareils photo crépitent devant ce paysage quasi Patagonien presque incongru dans ces confins orientaux, à quelques centaines de kilomètres de la fournaise estivale du désert irakien… Sur la gauche du Resko qui nous fait face, le col indiqué sur le croquis s’avère être une brèche dans une inquiétante falaise échouant sur un glacier souligné de barres rocheuses. Son ascension nous parait complexe et c‘est sur les parties droite du massif, les contreforts est du Duvar Tepe au-dessus du glacier éponyme, que nous nous engageons. Le terrain fait de pelouses alpines raides coupées de barres rocheuses se montre assez ingrat : les touffes d’herbes et massifs de fleurs s’avèrent aussi agréables pour les yeux qu’utiles pour les mains quand les pieds commencent à déraper sur ses pentes abruptes. Aux environs de 3000 m les dernières fleurs laissent la place aux éboulis puis aux rochers polis abandonnés par les glaciers désormais limités aux cirques sommitaux.
A 3300 m, place aux crampons, ravis de sortir du sac après y avoir cuits sous les 35°C de Hakkari, pour attaquer les glaciers à vif sur leurs parties basses. Nous découvrons une brèche, dans la crête sommitale qui borde le bassin glaciaire à environ 3700 m, que nous atteignons après avoir contourné une rimaye dont l’appétit commence à s’ouvrir. L’horizon s’ouvre alors sur les contreforts sud du massif et leurs sommets arrondis parsemés de névés. De la brèche la progression sur l’arête est et ses ressauts déversant semblent difficiles. Nous choisissons de tenter de traverser vers le glacier du Suppa Dürek situé derrière les falaises qui nous font face à l’ouest. Après la redescente en diagonale sur le glacier 3 longueurs d’escalade en 4 sup sur un rocher parfois traître nous emmènent à 3600 m sur la crête, de laquelle la descente vers le glacier du Süppa Durek nous semble possible en 2 ou 3 rappels.
Thomas dans le pilier Est du Mirhamza, sous le regard de l'Elsan.. Photo Thomas Guviez.
De cette crête, le panorama s’étend sur l’ensemble du massif du Çilo, et la plupart des sommets semblent protégées par de hautes (souvent plus de 800 m de hauteur) parois rébarbatives. Nous croyons cependant discerner quelques itinéraires envisageables en suivant des rares lignes de faiblesse. Du bas du premier rappel d’où nous surplombons le glacier du Süppa Durek, celui-ci nous semble étonnamment proche, et nous posons le dernier rappel, rassurés par la perspective de bientôt pouvoir remettre nos crampons sur le plancher des chèvres….Malheureusement, les 50 m des cordes de rappel abandonnent Alexandre en pleine paroi polie par le glacier. Alex improvise une désescalade exposée, 5 mètres au-dessus d’une rimaye béante affamée en cette fin d’après-midi. Nous terminons cette dernière difficulté sur coinceurs et pitons mais la descente est encore longue.
Barbara devant le lac de moraine et les séracs terminaux du glacier de l'Esmer Tepe. Photo Thomas
Il faut descendre ce vaste glacier du Süppa Durek et son imposant névé, accolé sur son bas. Fort heureusement la descente nous réserve peu de surprises si ce n’est un délicat passage raide et glissant sur des rochers polis par les glaces. Ici aussi le réchauffement climatique affiche ses attaques.
Alors que le soleil disparaît sous les collines pelées à l’ouest, nous prenons pied sur les pierriers de moraine instables qui, après quelques centaines de mètres et presque autant de jurons, cèdent place aux pelouses alpines nous ramenant au camp. Il est 21 h, nous marchons depuis 16h, il fait nuit depuis 3 heures et faim depuis presque autant. Nous mangeons dans le silence, les montagnes oubliées du Çilo encore dans les mirettes malgré la nuit qui nous entoure. Une douce torpeur commence à nous envelopper avec la tension de cette longue journée qui s’éloigne, et il n’y a rien d’autre à faire que de céder à cette petite mort du montagnard repu de parois et de sommets…
Une équipe de bergers kurdes, cherchez l'erreur; photo Barbara
Le lendemain au réveil le soleil éclaire déjà le sommet du Resko, et de fait la tempête de ciel bleu perdurera durant tout le séjour passée sur le Çilo. Le ciel présente ici une constance inconnue des alpinistes français branchés sur les prévisions météo. L’anticyclone vissé sur le sud-est Turc tout l'été garantit un ensoleillement à peine contrarié par quelques passages de nuages élevés. Les températures caniculaires en plaine, chaudes en montagne (entre 15 et 20 °C la nuit au camp à 2500 m, mêmes valeurs la journée à l’ombre à 3500 m, y compris sur les glaciers) font que les polaires et autres vêtements de protection n’ont eu pour fonction que d’encombrer les fonds de sac.. Les glaciers lorsqu’ils ne sont pas à vif offrent un manteau neigeux toujours dur malgré l’absence de regel nocturne. Ainsi la disparition du risque d'évolutions orageuses et la constance des conditions neigeuses nous donnent la bénédiction pour des réveils pas trop matinaux (entre 4h et 5h, loin de ces marches d'approche françaises faites à la frontale à des heures honnies des lève-tards, qui en viennent à regretter de ne pas rôtir sur les plages comme un rosbeef ou autre teuton...
Mais en ce lendemain de bambée, les muscles sourient moins que le ciel et se vengent un peu des excès imposés la veille durant les 16 heures de traversée : Les beaux piliers situés rive droite du torrent du Mia Hvara, en face des tentes, semblent tout indiqués pour une journée de « repos » salvatrice pour les biceps et autres triceps. Pas d’approche glaciaire, mais les chardons qui seuls résistent aux assauts des troupeaux de moutons et de chèvres marqueront également nos mollets.
Après 2 heures de marche nous parvenons au col de Der-I-Cafer et y découvrons ce qui ressemble à des vestiges récents de combats. Après avoir mitraillé le panorama de photos, nous décidons de gravir un beau pilier s’élançant en face du col sur une hauteur d’environ 150 m. L’escalade y tient toutes ses promesses sur un beau rocher sculpté d’une adhérence exceptionnelle, avec des passages verticaux mais toujours prisus, le tout face aux sommets du Çilo. Le retour à pieds du sommet dans les pentes herbeuses n’est une formalité que pour Alexandre et Thomas. Barbara trébuche sur une pierre et chute sur les genoux. Ces derniers ne tolèreront plus d’appui franc. Il reste moins d’une demi-heure de marche qu’on effectuera en 3 fois plus de temps, encore une fois à la frontale. Nous prenons la mesure d’un accident dans un environnement isolé, sans possibilité d’alerte et ou d’assistance.
La troupe est déjà marquée : un des genoux de Barbara rechigne à plier tandis que les douleurs au ventre d’Alexandre se sont intensifiées pendant la nuit. Alex et Thomas décident malgré tout de viser le sommet de l’Elsan, qui nous a semblé accessible par son arête sud lors notre première journée d’exploration en traversée glaciaire et ils reprennent le chemin de l’avant veille.
Barbara profitera de sa dispense de sport pour faire un stage d’insertion au camp kurde: d’ailleurs, les troupeaux qui coulent sur les flancs des montagnes annoncent que l’heure de la traite approche. Juste le temps de nouer un foulard sur la tête et de couvrir les épaules que les bergers se détachent du flux du troupeau pour nous convier à un thé. Il fait terriblement chaud en pantalon, T-chirt et foulard, tenue pourtant très légère comparée aux empilements de pantalons et de jupons que portent les femmes kurdes.
Séance d'initiation à l'escalade pour les Kurdes de Mergan. Photo Alex
L'organisation de la traite est la même que celle décrite par Bernard Amy. Un demi parc ouvert sur un sas de muret de pierre permet de stocker les bêtes avant qu’elles ne passent au compte-gouttes dans le sas. Les bergères sont assises en deux rangées parallèles telles deux équipes de rugby qui se font face. Elles ont revêtu un pantalon de jute sur leur empilement de jupes et jupons qui les protège des salissures. Au centre, stratégiquement perché sur un gros cairn avancé sur l’entrée du parc, un berger-arbitre distribue les brebis de part et d’autres de son îlot pierreux aux bergères qui les interceptent pour les traire. Les enfants jouent les ramasseurs de balles en allant chercher les bêtes resquilleuses.
Le match terminé, les bidons remplis sont ensuite filtrés. On les entrepose dans des bassins d’eau fraiche naturels en attendant que les braises rougissent et que les ateliers successifs à la fabrication des fromages se montent. Tandis qu’on grignote des concombres en guise de sucre d’orge et qu’on sirote un verre de thé, le lait tiédit sous le feu et dans quelques heures se sera du yaourt ou du fromage blanc aux herbes. La chaleur de l’après-midi invite à s’assoupir mais bien souvent d’autres activités s’embraient comme le lavage de la laine ou la collecte de branchage pour le feu. Ces tâches sont souvent réservées aux enfants.
La journée de la tonte annuelle à Mergan. Photo Alex
Ces quelques heures de calme permettent aux adultes de s’adonner à la prière. La communauté kurde de Mergan est musulmane, mais nous sommes bien loin des clichés religieux moyen-orientaux : les femmes ne sont pas voilées jusqu’au bout du nez, le fichu coloré qu’elle nouent sur le cheveux tient plus de la tenue traditionnelle que de l’impératif religieux. En période de Ramadan, le fil de prière est globalement respecté, en dehors de cette période, les usages semblent être assez permissifs. La religion si elle fait partie de leur existence (on fait référence à Allah dans certains slogan du PKK) ne semble pas envahir le quotidien.
Plus haut sur les flancs de l’Elsan, les intestins d’Alexandre ne sont pas plus vaillants que le genou de Barbara. Au début des moraines du Tepe décision est prise de renoncer et redescendre au camp. L’équipe est ainsi de nouveau au complet mais pour la plupart déclarés inaptes à l’alpinisme aujourd’hui. Nous nous vengeons en envoyant les bergers kurdes au travail sur un rocher que nous équipons en moulinettes d’école d’escalade… Peut être avons nous fait naitre des vocations ?
Aujourd’hui est une journée particulière, c’est ce que nos voisins kurdes nous avaient fait comprendre à force de mimes et gestuelles hier : c’est la fête de la tonte. Les mois d’été sont en effet la période ou la laine est coupée, ainsi ce 31 juillet se propose de célébrer cette tradition. À cette occasion les familles de la vallée montent au camp de Mergan dans leurs plus beaux habits. La vallée habituellement si sauvage est méconnaissable : tonte, lavage de la laine et BBQ de mouton le tout largement agrémenté de chant kurdes s‘enchaînent jusqu’au soir. Chaque famille s’accapare un espace de verdure où elle installe son camp pour la journée, un drap au sol ou une petite tente. Pendant que l’on tond le cheptel, un mouton ou une chèvre est dépecé et préparé pour le repas de midi. Toutes les familles ainsi parsemées dans la vallée auront sensiblement le même menu : riz, salade de tomates et concombres, viandes grillées, mangés entre deux tranches de pain puis pastèque et bien sûr le thé, incontournable.
Zagross lave son prochain pull over.. Photo Thomas
Parmi les femmes aux tenus festives traditionnelles et les bergers endimanchés, quelques caméras et journalistes à micro contrastent par anachronisme. Ils immortalisent cette instant de tradition avec ferveur. Notre présence insolite les intéressera beaucoup et fera même l’objet de menus reportages. Cette couverture médiatique nous a d’abord surpris mais avec du recul, nous réalisons maintenant que ce n’est pas si décalé que cela : les kurdes ont bien compris que pour exister sans état ni nation, il faut préserver cette culture, entretenir cette identité et faire vivre les traditions. Pour cela il faut transmettre et faire partager cette culture au plus grand nombre via les canaux d’information. En discutant avec l’un des journalistes nous réaliserons que cette fierté, se besoin d’appuyer leur différence est le reflet disons pacifique de leur combat.
Les derniers clichés pris, les dernières bouchés de sandwich aux fois de moutons ingurgitées, nous optons pour une promenade verticale digestive sous la forme d’un beau pilier d’une centaine de mètres de haut repéré depuis le bas, dont la descente semble possible à pieds par un système de vires. La grimpe s’y avère un poil plus difficile qu’escompté du bas. Nous rentrons après deux longueurs d’une escalade courte mais physique sur un rocher sculpté, presque coupant. Les chaussons cramponnent presque à la verticale sur ces micros piquos de calcaire. Une fois revenus sur le plancher des moutons les tentes nous tendent leurs arceaux et nous voilà bientôt attablés à la japonaise devant notre ordinaire dîner de pâtes aux fourmis et de semoule aux moucherons, bien loin du festin offert le matin même par nos amis kurdes…
Repas festif lors de la journée de la tonte annuelle à Mergan.
Aujourd’hui nous ne pouvons prétexter aucune blessure ou fête kurde pour paresser dans le duvet. En attendant que le soleil ne transforme la tente en fournaise, nous partons aux premières lueurs du jour en direction de l’Elsan dont la première tentative a été vite avortée l’avant-veille… L’accès désormais bien connu ne nous pose aucune difficulté, mis à part pour Alexandre et Thomas qui avec un manque évident de sensibilité éternuent et expectorent dans les champs de fleurs sauvages. Au bout de 4 heures de quasi escalade dans les pentes herbeuses et sur les crêtes des moraines nous arrivons au pied de l’arête sud-ouest. Nous grimpons les longueurs qui nous séparent du sommet sur des rochers aussi solides qu’un budget Grec. Suivre l’arête s’avère être l’itinéraire le plus sûr sur ce rocher délité et le moins exposé aux chutes de pierres quasi constantes dans les parois.
Dans ce terrain de piles d’assiettes en pleines scènes de ménage, la descente se fait en désescalade précautionneuse. Après quelques longueurs délicates sur la partie haute de l’arête sud-ouest, nous pouvons remiser les baudriers au fond du sac et descendre les rochers brisés de la partie basse de l’arête. Une enfilade de névés nous permet de rejoindre en ramasse le lac glacière du Duvar Tepe sur sa partie basse, et ainsi d’éviter l’interminable descente par les pentes herbeuses. Voilà notre premier vrai sommet du massif du Çilo gravi…certes pas le plus alpin mais en tout cas un belvédère unique sur tout le massif de par sa position reculée en deçà de la crête principale. Nous n’avons pas fait des étincelles en alpinisme, mais en tout cas les appareils photo ont bien crépité !
Jeux de couleurs sur le granite du Geztepe. Photo Thomas Guviez.
Aujourd’hui l’objectif est de grimper moins haut mais plus dur, et c’est donc tout naturellement que nous retournons vers les belles parois rocheuses de la rive droite du torrent du Mia Hvara, juste en face de nos tentes. Nos velléités de trouver un itinéraire pas trop difficile dans toute la face, débouchant sur la crête 800 m plus haut, se retrouvent face à un mur compact de calcaire sans ligne de faiblesse évidente. Nous avons beau longer le bas de la paroi, varier les points de vue et scruter la falaise avec un zoom d’appareil photo en guise de jumelles, nous ne trouvons pas la voie royale qui nous amènerait au sommet en évitant ce bouclier de dalles, toits et autres instruments de torture du grimpeur de 6 en terrain d’aventure…
Thom et Alex au sommet de l'Eslan. Photo Barbara
Nous finissons par repérer un éperon ne paraissant pas trop difficile et débouchant sur un col rocheux situé sous un surplomb plus que rébarbatif, même vu depuis le bas de la voie. Nous commençons donc l’ascension sans grand espoir de passer ce col. L’escalade devient vite plaisante sur un rocher qui colle aux chaussons, de plus en plus soutenue jusqu’à une très belle quatrième longueur en 6a. Alex en tête hésite sur le meilleur itinéraire, pitonne, dépitonne, monte, descend, part à droite, à gauche, pour finalement trouver sa voie et relayer sous le col après un joli petit pas de surplomb sur bacs. De ce relais le col n’est plus qu’à un jet de corde, et nous y parvenons tout émoustillés à l’idée d’admirer les contours de notre surplomb sous un nouvel angle. Las, ce surplomb ne semble pas plus facile que vu du bas, et il nous faut donc envisager une retraite sans conquérir l’impossible. Nous prenons une vire descendante prometteuse, et effectivement cette vire nous amène facilement sur un impressionnant couloir de pierrailles qui fend le rideau de parois rive droite du torrent du Mia Hvara. Ce couloir très encaissé sous des parois de 500 m de haut à l’ambiance presque spéléologique conduit facilement sur ses éboulis roulements à billes au pied de la paroi et à la prairie accueillante où paissent nos tentes. Ce retour précoce permettra un coucher avec les poules… euh les moutons le soir, en préparation de la très grande journée d’alpinisme prévue le lendemain.
Glacier Ouest du Resko.. Photo Alex
Le départ se fait aux premières lueurs pour l’aiguille de Mir Hamza, (ayant été repérée sous différents angles lors de la traversée glaciaire du 28 juillet et de l’ascension de l’Elsan l’avant-veille) : une aiguille calcaire bien individualisée, de profil triangulaire, dominant la langue terminale du glacier du Süppa Durek, dont la face est semble offrir des éperons accessible à nos modestes moyens de grimpeurs. L’approche consiste à passer progressivement des douces prairies du camp au plateau glaciaire du Süppa Durek, à travers éboulis, pentes de neige raides puis langue en glace vive du glacier du Süppa Durek. Itinéraire que nous avant ouvert à la descente le premier jour d’exploration.
A mesure que les couleurs tournent du vert brillant des pelouses au gris blanc de la glace, les soupirs des thermiques et le ronronnement des bédières remplacent les bêlements des chèvres, et les halètements de l’alpiniste ployé sous sa charge de cordes et de pitons les éternuements de l’allergique immergé dans un nuage de pollens…
La paroi est de l’aiguille de Mir Hamza se rapproche, et aucune rimaye ne vient gêner le passage de la glace vive de la langue terminale du glacier aux rochers instables laissés là par le recul glaciaire très rapide, encore plus évident ici. L’observation du beau rocher calcaire compact nous met des fourmis dans les chaussons, et c’est la fleur au descendeur que nous commençons par grimper corde tendue puis tirons notre première longueur dans un beau dièdre. Dans ce terrain d’aventures intégral, jamais topographié, parcouru ou purgé, il importe de tester chaque prise et de trouver le bon itinéraire, même si le rocher offre pléthore de becquets à sangles et de fissures et friends. Dans ces conditions les longueurs se succèdent relativement vite, et même si le sommet paraît toujours aussi lointain. Même les bédières du glacier en contrebas s’éloignent puis se taisent, nous laissant accrochés à un bout d’éperon comme suspendus entre ciel et glace. Malgré tout les ombres commencent à s’allonger, la chaleur à se faire moins pesante et l’air à se purifier en se débarrassant des vibrations de chaleur du zénith.
Alexandre dans la deuxième longueur de "Mergan Express", 5. Photo Thomas.
Même si le temps nous paraissait suspendu dans ce silence immuable, sur cette paroi où nous progressons sans que la cime semble se rapprocher, la montre nous indique une heure déjà bien avancée ne nous laissant que deux heures avant le crépuscule. Il est encore temps de nous décider, sachant donc que deux options peuvent être choisies : poursuivre l’ascension et donc très probablement bivouaquer en paroi sans aucun matériel (mais les nuits sont douces dans le Çilo, même à haute altitude), en attendant patiemment sur une vire inconfortable vachés sur un bout de métal que l’horizon s’éclaire à l’est, ou entamer de suite les rappels de descente, ce qui devrait nous amener au pied de la paroi avant la nuit. Après le premier tour d’un vote à la majorité absolue nous décidons de redescendre… Il s’agit donc maintenant d’enchaîner les rappels salvateurs jusqu’au glacier, et donc de construire des relais fiables sans laisser trop de matériels. L’absence de becquets nous contraint à pitonner. Il faisait presque nuit lorsque nous atteignons le glacier et amorçons le retour au camp.
Thomas admire le Resko (4135m) et ses faces Nord-Ouest depuis l'Elsan. Photo Alex
La fin de notre séjour à Mergan approche. Dans quelques heures, l’aventureuse 406 et son chauffeur rejoindront le camp de Mergan pour nous descendre à Hakkari. Une journée plus courte mais dédiée à un projet non moins ambitieux : il s’agit en effet de rapidement démonter le camp afin d’épargner une grosse après-midi qui sera consacrée aux dernières explorations, qu’elles soient culturelles pour Barbara ou géographiques pour Alex et Thomas.
3 heures plus tard, il ne reste qu’un empilement de sacs sur l’herbe aplatie de notre camp. Thomas et Alex partent vers le nord-ouest ou une crête herbeuse leur permet de basculer sur les renforts extérieurs du massif. Derrière les renforts rocheux de Mir Hamza, les reliefs tapissés d’herbe sont nettement plus arrondis. Malgré les jambes fatiguées de la veille, les sacs légers et le terrain beaucoup plus facile amènent Thom et Alex à dérouler sur une distance intéressante. Ce paysage doux et uniforme contraste avec les couleurs tranchées et les géométries anguleuses du cœur du massif. Ils atteignent un premier lac précédemment repéré sur Google Earth. De là un deuxième lac se dessine qu’ils rejoindront en une petite heure. De l’or bleu dans un écrin vert. Ces deux lacs d’une surface honorable sont encore bien remplis en cette date avancée dans l’été. Ils témoignent des ressources hydrauliques certaines dans le massif.
L'équipe de trayeuse en tenue de travail (pantalon large enfilé par dessus leurs tenues colorées pour les protéger) Photo Barbara
Dans la vallée de Mergan, Barbara passera sa dernière journée avec les kurdes : échanger, s’imprégner encore de ce mode de vie. Le Ramadan a commencé depuis deux jours. Sous cette chaleur accablante et sans hydratation, les activités deviennent encore plus laborieuses. Aux heures creuses de l’après-midi, on s’abrite dans les tentes et on se rafraîchit le visage avec cette eau interdite à la consommation tant qu’il fait jour. Les enfants sont dispensés du jeune même s’ils essaient de jouer le jeu, à moins qu’ils ne jouent avec le jeûne: ils font semblant d’ingurgiter des aliments, avalent une gorgée d’eau puis la recrachent, jouent avec cette règle à venir comme pour mieux en appréhender les contours et s’y préparer.
Polat et le chauffeur arrive avec un peu d’avance, ils sont en effet accompagnés d’un ami journaliste de Polat, Hamza, désireux de réaliser un petit reportage sur le camp de Mergan et notre visite. Les questions tournent bien sûr autour de la nation kurde et de leur combat. Le camp kurde traditionnel de Mergan est aussi l’objet de son reportage et comme remarqué lors de la fête de la tonte les bergères se prêtent volontiers au jeu de la caméra. Un brin intimidées lorsque le cache tombe, elles s’agaillardissent cependant rapidement, et c’est spontanément qu’elles entonnent un air kurde en battant le yaourt… comme si elles étaient assez accoutumées à ce rôle.
Une demi douzaine chansons kurdes plus tard, les silhouettes de Thomas et Alex se détachent de l’horizon. Il va falloir se dire au revoir. Des marches éprouvantes sur des pentes compliquées aux rimailles béantes c’est le moment des adieux que nos avons le plus détesté.
Nous rejoignons les rues poussiéreuses d’Hakkari en début de soirée. La fin du Ramadan vient d’être annoncée. Les rues, les restaurants sont alors bondés. C’est la fin du jeûne et des familles entières investissent les rues joncées de stands vendant toutes sortes de victuailles, figues séchées, boulettes de tomates au boulgour…nous réussissons non sans mal a trouver une table libre ou dîner avec Polat et sa petite équipe. Une paire d’heures plus tard, aussi soudainement qu’elle est montée, l’animation retombe et les rues redeviennent désertes. Pendant les deux jours et demi de notre second passage à Hakkari la ville vivra au rythme des horaires du jeûne et des prières, et nous aussi. La population de Hakkari est quasiment 100% kurde, et les kurdes sont majoritairement de religion musulmane de la branche sunnites.
Le retour à Hakkari si c'est le temps d'une douche et d’un repas copieux, est aussi l’heure du dilemme concernant la suite du programme :
Encouragés par cette première expérience réussie dans le massif du Çilo, nous options pour le massif du Sat : ce massif se situe plus à l’est c’est à dire aussi plus près des frontières iraniennes et irakiennes, zone très surveillée par l’armée turque (les rebelles kurdes devant se trouver de l’autre côté de ces lignes).
Nous partons à Yuksekova. Afin de ne pas perdre de temps à chercher une vaine autorisation ou information sur l’accès aux montagnes comme nous l’avions fait à Hakkari, nous demandons sitôt arrivé à un chauffeur de taxi de nous rapprocher du massif en nous conduisant à Çevre, village ou lieu-dit devant nous servir de point de départ pour accéder à la vallée du Sat, nous serions au pire stoppés par un barrage militaire. C’est cette expérience que nous vivrons à quelques mètres du dernier tronçon de route qui mène à Çevre.
Les militaires seront sans équivoque : « Il faut partir, il est interdit de circuler dans ces montagnes, c’est plein de terroristes ». Après un semblant d’interrogatoire en anglo-turc qui avait plus pour but de nous impressionner que de nous tirer des informations, et une fouille rapidement découragée de nos nombreux sacs. Nous avons pour ordre de déguerpir de la région dans les heures qui suivent. « Tammam », nous avons déjà le Kaşkar en ligne de mire.
Sur la partie terminale de l'arête sud-ouest de l'Elsan, le Suppa Durek en arrière-plan. Photo Thomas
S’en suit un interminable périple sur les routes du sud au nord de l’est turc. 4 heures de dolmus jusqu'à Van, dix heures de bus de nuit pour rallier Trabzon, et enfin une série de dolmus pour rejoindre la « Suisse turque », le Kaşkar. Changement de décor, conifères, prairies vertes, alpages, troupeaux de vaches laitières et une version turque de la raclette comme spécialité locale. Pas une minute à perdre, deux jours après avoir quitté Hakkari et Yusekova, nous montons notre camp au pied des versants nord des monts du Kaşkar sous un crachin breton. Nouveau décor et nouveau climat aussi : brouillard persistant, humidité et météo instable. Ici c’est en chaussettes et gore-tex que nous avalons nos soupes. Seul point commun avec à la région du Çilo, les fleurs multicolores qui tapissent les alpages.
Un repérage nous permettra d’identifier quelques voies d’ascension ou escalades envisageables. La météo se montrera coopérative : la journée, le brouillard humide et dense se couchera dans la vallée pour nous envahir qu’à la fin d’après midi.
Alpinisme glaciaire sur le sérac terminal du glacier nord-ouest du Kackar Dag. Photo Thomas
- le lendemain nous tenterons de suivre une arête pour atteindre une antécime du mont Kaşkar. Un rocher délité et une cassure du fil de l’arête que nous ne pouvions observer sous l’angle de nos observations nous stopperont.
- Ascension du principal glacier du Kaşkar. Rongé à vif, une partie basse qui perd en volume sous les attaques du soleil et donc se raidit en formant des seracs. Une partie haute moins pentue mais très crevassée et labourées par les chutes de pierres. Les rares glaciers qui subsistent encore semblent disparaitre à vitesse accélérée.
- Nous accéderons au sommet du Kaşkar par la voie nord-est : un itinéraire serpentant dans les couloirs d’éboulis escarpés et entre les piles d’assiettes instables.
- Bien sûr nous avons fait le tour des lacs environnants, bleu sombre et argentés, une spécialité de la région.
Les paysages du Kaşkar, tour à tour mystérieux dans la brume et éclatants de couleurs dans la lumière valent le détour. Le potentiel du rocher en matière d’escalade nous paraît cependant limité car trop instable. En revanche les faces nord pourraient offrir d’intéressantes voies en neige et glace en hiver.
Avva et son fagot de bois dans le dos. Photo Barbara.
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